Hôpitaux : une sécurité à problèmes spécifiques

15 septembre 20258 min

Alors qu’une loi a été votée en juillet 2025 pour renforcer la sécurité des professionnels, les établissements de santé rencontrent de nombreuses difficultés – financières, culturelles, technologiques – pour modifier leur organisation face à une violence qui s’est installée à des degrés divers.

Le personnel hospitalier est très attentif au respect des droits des patients en matière de confidentialité et d’intimité @storyset-freepik

Jadis considéré comme un îlot de tranquillité et d’accueil, l’hôpital est devenu un lieu comme les autres sur le plan des incivilités, de la délinquance et de la malveillance : en 2022, un professionnel de santé hospitalier sur trois a déclaré subir des agressions physiques, selon le baromètre MNH-Odoxa.

Un environnement très variable selon les hôpitaux

« La situation est globalement difficile et surtout très variable d’un établissement à un autre », nous déclare Romain Fortier, responsable sécurité et sûreté du centre hospitalier de l’Estran et auteur d’un livre qui vient de paraitre, intitulé « La sûreté à l’hôpital ».

« Il n’existe pas de culture sécurité homogène dans les hôpitaux », renchérit Rodolphe Temple, responsable sécurité à l’hôpital Foch de Suresnes, en soulignant que la problématique est très différente selon le type d’hôpital : les établissements publics sont généralement des bâtiments énormes et souvent anciens alors que les organismes privés sont plus petits. « Tout dépend aussi de l’environnement géographique : un hôpital en banlieue à forte concentration démographique n’est pas confronté aux même risques qu’un hôpital dans un département rural », ajoute-t-il.

Les établissements de santé en 2022. Source : En Toute Sécurité

Les établissements de santé en 2022 (derniers chiffres connus). Source : En Toute Sécurité.

Au sein même d’un centre hospitalier, les contraintes ne sont pas identiques : la zone d’accueil doit être ouverte au public en permanence – de jour comme de nuit, y compris les jours fériés – alors que les services psychiatriques sont au contraire davantage repliés sur eux-mêmes.

Sécuriser le personnel, les patients ou des équipements coûteux et dangereux n’obéit d’ailleurs pas aux mêmes règles. « La mission première de la sécurité consiste à éviter une perturbation des soins prodigués aux patients », explique François Renoul, président jusqu’en juin 2025 de l’Acses, l’association des chargés de sécurité en établissement de soins qui regroupe plus de 300 adhérents.

L’état de la menace

Les menaces ont également évolué dans le temps : les incivilités se sont généralisées. « Il n’y a plus de respect pour la blouse blanche », constate, amer, Rodolphe Temple de l’hôpital Foch.

Aujourd’hui, les hôpitaux sont devenus une cible potentielle de terroristes, en raison de l’impact psychologique énorme qu’aurait un tel attentat. Des exercices de simulation ont lieu régulièrement avec les forces spéciales. À noter, celui organisé en juin dernier au centre hospitalier de Bourg-Saint-Maurice (Savoie) en prévision des Jeux olympiques d’hiver de 2030 qui mettait en scène une fusillade fictive au sein de l’établissement.

L’insécurité ne concerne d’ailleurs pas seulement les milieux hospitaliers, mais aussi les cabinets médicaux privés. L’Observatoire de la sécurité de l’Ordre des médecins a ainsi recensé 1 581 déclarations d’incidents en 2023 (+27 %), avec une très forte augmentation en région Paca et surtout chez les médecins spécialisés en psychiatrie. À signaler que 62 % des agresseurs sont le patient lui-même et que des armes ont été utilisées dans 2 % des cas.

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Des statistiques anciennes

En fait, la situation sur le terrain est mal connue, même si tous les experts reconnaissent que le phénomène d’insécurité a tendance à s’amplifier. Le dernier rapport de l’Observatoire national des violences en santé, créé en 2005, date en effet de 2022. Il porte sur les statistiques de l’année précédente : on peut y lire que 391 établissements ont déclaré de façon volontaire 19 328 signalements en 2021, contre 23 360 provenant de 426 établissements recensés en 2018.

On peut également citer les statistiques 2022 du Service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI) qui vont dans ce sens d’une augmentation globale : +15 % de coups et blessures volontaires et +11 % de violences sexuelles (viols, tentatives de viol et autres agressions sexuelles) recensés dans les hôpitaux.

Répartition des dépenses de sécurité et sûreté dans les établissements de santé (chiffres 2024). Source : En Toute Sécurité.

Répartition des dépenses de sécurité et sûreté dans les établissements de santé (chiffres 2024). Source : En Toute Sécurité

« Les chiffres ne reflètent pas la réalité, car ce n’est pas dans la culture du personnel de signaler un incident dont il est victime. La direction d’un établissement a beaucoup de mal à faire remonter les incidents », affirme Romain Fortier. Il souligne donc l’importance des formations régulières – car le turnover des soignants est fréquent – visant à sensibiliser le personnel aux questions de sécurité, de préférence avec des modules simples. Pour illustrer la nécessité d’un travail pédagogique, il relève que certains établissements rechignent à installer des contrôles d’accès, car « cela va faire peur à tout le monde ». De son côté, l’Acses travaille sur la création d’un module de formation pour les responsables sécurité qui devrait être finalisé cette année.

Les pouvoirs publics au chevet de l’hôpital

Il est certain que les établissements situés dans des grands centres urbains sont davantage à l’écoute des préoccupations de sécurité et que cette réticence à signaler un incident y est moins forte. Depuis plusieurs années, les pouvoirs publics insistent pour qu’un professionnel de santé victime d’une agression verbale ou physique dépose systématiquement plainte, appuyé dans sa démarche par la direction de son établissement.

La prise de conscience de l’ampleur du problème d’insécurité date du milieu des années 2000, tandis que les menaces terroristes sur les établissements de santé ont accéléré les décisions. Cela s’est notamment traduit par la mise en place d’un PSE (Plan de sécurité d’établissement) qui prévoit un audit de vulnérabilité du site et des investissements en sécurité.

Malgré de nombreuses réticences de la part du personnel médical, une coordination avec les forces de l’ordre et le ministère de la Justice a été mise en place. « L’état d’avancement opérationnel des PSE n’est pas à la hauteur des espérances initiales, avec de fortes disparités selon les régions », affirme François Renoul de l’Acses. Il cite en exemple la région Auvergne Rhône-Alpes où 85 % des établissements ont réalisé leur PSE, mais seulement 46 % l’ont remis à jour et 25 % ont conclu une convention avec les forces régaliennes.

Depuis 2017, un volet a été ajouté au PSE. Phénomène relativement récent qui a pris une certaine ampleur, les hôpitaux sont en effet de plus en plus la cible de cyberattaques. « La mise à niveau des systèmes informatiques vieillissants des hôpitaux, souvent devenus de véritables portes d’entrée pour les hackeurs, est un enjeu majeur. En raison de la complexité de leur sécurisation et de leur digitalisation, les environnements hospitaliers restent exposés », analyse Olivier Spielmann, vice-président chez Kudelski Security.

Un volet cyber a été ajouté au PSE, car les hôpitaux sont en effet de plus en plus la cible de cyberattaques.

Pénurie de moyens financiers dans les hôpitaux

Partant de situations parfois antédiluviennes, les dispositifs de sécurité ont été renforcés au fil des ans. Les investissements en solutions technologiques (vidéosurveillance, contrôle d’accès, alarme, etc.), sont de plus en plus courants, mais se heurtent parfois à des oppositions souvent bien ancrées. Le personnel est en effet très attentif au respect des droits des patients en matière de confidentialité et d’intimité. Dans cet environnement peu habitué aux contraintes et procédures de sécurité, on peut constater que des technologies de pointe comme la vidéosurveillance intelligente suscitent des craintes. Et les problèmes de maintenance sont parfois compliqués dans des bâtiments peu adaptés à ce type d’équipements.

En 2024, le contrôle d’accès représentait 90 M€ de dépenses pour les établissements de santé français @storyset-freepik

En 2024, le contrôle d’accès représentait 90 M€ de dépenses pour les établissements de santé français, soit un peu moins de 10 % du budget total alloué à leur sécurité et leur sûreté @ storyset-freepik.

Néanmoins, le marché de la sécurité comprend surtout la surveillance humaine qui est progressivement externalisée auprès de sociétés privées, notamment dans les grands établissements. Celle-ci représente plus du tiers des dépenses totales de sécurité.

« Dans un univers hospitalier régi par des contraintes budgétaires fortes, la sécurité n’échappe pas à ce phénomène. Sauf dans un domaine où existe une réglementation exigeante – par exemple en sécurité incendie – ou lorsqu’il s’est produit un événement grave dans un établissement, comme un viol ou un meurtre », estime Romain Fortier.

Il remarque également que les investissements s’étirent couramment sur une période plus longue que prévu. Bon an, mal an, les dépenses progressent en volume : elles sont ainsi passées de 700 M€ en 2019 à près d’un milliard en 2024, selon une étude d’En Toute Sécurité. Les établissements sont soutenus dans leurs projets sécurité par l’État qui leur distribue environ 25 M€ par an depuis 2017. Une goutte d’eau dans un océan de besoins.

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Article extrait du n° 609 de Face au Risque : « La santé mentale au travail » (septembre-octobre 2025).

Patrick Haas

Journaliste et directeur d’En Toute Sécurité

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