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Feu glaçant dans un entrepôt frigorifique
Le mercredi 14 décembre 2022, en fin de matinée, un incendie éclate dans un entrepôt frigorifique en région Occitanie. L’origine du feu, les conditions d’intervention en température négative et la durée de l’engagement des secours font de ce sinistre un incendie « hors normes » !

Un rapide départ de feu
Un cariste effectue la manutention et le regroupement de palettes de pains surgelés dans un entrepôt frigorifique du sud-ouest. Alors qu’il fait glisser son chargement sur la dalle de béton, il aperçoit une lueur jaune en bas d’une palette puis de petites flammes. Il donne l’alerte immédiatement tandis qu’un de ses collègues vide deux extincteurs sur le feu qui embrase déjà toute une palette d’1,80 m…
Le premier appel décrivant un feu de palettes est transmis à 10h59 aux pompiers.
Conjointement, la quinzaine d’employés présents dans la chambre froide n° 1, dont une moitié est en mezzanine, sont évacués par le chef d’équipe qui fait le tour de l’entrepôt. La mise à l’arrêt du système de production de froid s’effectue.
Quelques dizaines de minutes plus tard, le premier engin d’un groupe constitué de trois pompes, d’une échelle aérienne et d’un véhicule de secours et d’assistance aux victimes (Vsav) se présente sur le site. Les énergies sont coupées, la production de froid stoppée et le reste du personnel évacué.
Plusieurs problèmes se dressent d’emblée
La température reste à -17 °C dans la chambre n° 1. La fumée importante, au comportement inhabituel (elle « coule » au sol et par les quais de chargement), ainsi que l’entrepôt dans le noir empêchent la localisation du feu. Des caméras thermiques sont utilisées pour la recherche de foyer mais elles montrent rapidement leurs limites d’utilisation (-20 °C en théorie). Le bâtiment est quasiment étanche, la ventilation naturelle se révèle inefficace : la fumée ne s’évacue pas. Un groupe d’exploration longue durée (Geld) est demandé pour améliorer la recherche.
12h12. « Foyer localisé, confirmation de feu de palettes, demande de moyens de ventilation mobiles. »
Deux lances sont établies. Une par un accès latéral au plus près de la zone de feu, l’autre par le quai de chargement. Après 25 minutes, la situation ne s’améliore pas, la ventilation naturelle est inefficace, la visibilité réduite, et l’eau projetée entraîne des problèmes de verglas et de risque d’effondrement de palettes surchargées de glace…
Deux ventilateurs mobiles sont positionnés afin de créer un flux traversant la cellule, mais les ouvrants réduits et le vent faible ne permettent pas un brassage naturel énergique.
L’opération promet d’être de longue durée et la structure de commandement se renforce. De nouveaux moyens sont demandés.
Les deux cellules contiendraient plus de 5 000 palettes de denrées alimentaires dont le nombre impacté est inconnu.
La chambre froide n° 2 est bien isolée par un mur et des portes coupe-feu. La température va y remonter entre -9 et -11 °C après l’arrêt du refroidissement.
Vers 15h30, en concertation avec l’entreprise, il est décidé de réaliser trois trouées au niveau de la façade, près de la zone sinistrée, pour procéder à la ventilation de la cellule concernée.
Vers 17 h, un sapeur-pompier, attaché par un lot de sauvetage et équipé d’un appareil respiratoire isolant et d’une disqueuse, effectue une trouée depuis un exutoire en toiture. Le constructeur donne une limite de charge de deux hommes avec un poids de 170 kg. Parvenant dans le plenum technique, il va découper un carré de 60 x 60 dans la paroi isolante faite de 20 cm d’épaisseur de mousse polyuréthane entre deux tôles d’acier.
Il faut attendre le milieu de soirée pour que la baisse d’intensité du feu soit significative, et se réduise bientôt à des foyers résiduels. Un dispositif allégé est installé pour la nuit.
Un nouveau feu se déclare 7 jours après
Le lendemain, on ne constate plus de fumée dans la chambre n° 1. On procède à la surveillance du feu aidé par la caméra thermique et le feu est déclaré éteint à 15h31. Le dernier relevé de monoxyde de carbone est à zéro.
Le vendredi 16 décembre, la chambre froide n° 2 est remise en froid pour que la marchandise stockée ne s’effondre pas par déformation, et pour empêcher la décomposition.
Cinq jours après, dans le cadre d’un retour d’expérience mené par le Sdis31, lors de la réunion de travail avec l’entreprise, cinq employés évoluant dans l’entrepôt se plaignent de maux de tête et d’irritations de la gorge.
Sept jours plus tard, les pompiers sont rappelés à 9h15 pour un dégagement de fumée significatif dans la zone sinistrée. Pourtant le sol et les décombres sont figés dans une épaisse carapace de glace…
Une odeur âcre règne dans la cellule enfumée. Une lance est établie pour réduire ce départ de feu énigmatique dans un environnement aussi peu favorable au feu ! L’opération est enfin terminée… 8 jours plus tard.
L’origine de l’incendie
La cause de l’incendie est encore inconnue et soumise à enquête. Cependant il a éclaté sous les yeux d’un premier témoin : le cariste. Lorsqu’il prépare le regroupement de palettes, il procède toujours de la même façon : il prélève cinq palettes de pains dans les racks, les aligne au sol et les pousse sur quelques mètres. C’est durant cette opération qu’il voit une lueur jaune à la base de la première palette. Le temps de descendre regarder et déjà de petites flammes s’élèvent…
Il alerte immédiatement ses collègues, à quelques mètres, et l’un d’eux arrive, en une poignée de secondes, armé de deux extincteurs (la scène est filmée par le réseau de vidéosurveillance). Mais des flammes de près de 2 m embrasent déjà la première palette !
Même si l’on évoque un frottement de clous par exemple sous la palette, il ne paraît pas suffisant pour produire l’énergie nécessaire à l’inflammation quasi instantanée du premier carton dont l’emballage est à -17 °C… Il semblerait que, potentiellement, des étincelles aient été l’élément déclenchant d’un phénomène rare, peut-être au niveau d’un des cartons (poche de gaz inflammable issue de la fermentation des pains ?).
Des interrogations sur les causes
Hors périodes de travaux, les causes de départ de feu dans les entrepôts sont relativement limitées. Un échauffement sur le chariot de manutention a été exclu (le feu se déclare à plus de 4 m en avant de lui), tout comme sur les moteurs de translation des racks et le système électrique associé. Les éclairages, à led aujourd’hui, sont aussi hors de cause.
Rapidement, le premier carton s’affaisse et se couche contre la base d’un rack, y transmettant l’incendie.
Les marchandises stockées, des pains surgelés et des abricots, sont difficilement inflammables. Mais elles sont emballées dans des cartons et sacs en plastique qui eux le sont et qui, au niveau d’un rack de 40 m de long sur 12 m de haut, représentent un fort potentiel calorifique.

La fumée a un comportement inhabituel : elle « coule » au sol et par les quais de chargement, elle est blanche, épaisse, âcre et lourde.
Toutefois, le feu ne revêtira pas la violence habituellement observée dans cette configuration de stockages élevés : les structures métalliques des racks, minces, ne sont pas déformées même dans les zones où les marchandises ont disparu, les palettes de bois sont pour la plupart carbonisées, noircies, mais pas détruites.
Malgré les 12 m de hauteur de stock qui auraient pu lui donner l’élan nécessaire, le feu n’aura jamais eu la force d’atteindre la puissance suffisante pour percer le plénum technique puis la toiture et s’échapper à l’extérieur. Cette difficulté à s’oxygéner dans cet environnement semi-confiné sans réel exutoire et aux entrées d’air réduites, ne l’a pas « aidé » à se transformer en « vrai » feu d’entrepôt !
Le stockage dans les chambres froides, qui occupe la moitié de la surface de chacune, est « dynamique ». Mus par des moteurs de translation, les racks sont également espacés la nuit pour assurer une bonne répartition du froid. Et en journée, ils peuvent coulisser pour créer ponctuellement une allée permettant le passage des chariots de manutention.
L’ensemble des racks était donc « tassé » sans espace sur 1 500 m² environ à l’exception de l’allée concernée. Heureusement que le feu n’est pas entré dans ce volume de stockage dense ! Il n’aurait existé aucun moyen de procéder à une coupure du feu dans ce volume.

À la suite du sinistre, on constate que les structures métalliques des racks ne sont pas déformées.
Feu d’entrepôt frigorifique
Le premier appel provenant de l’entreprise décrit un feu de palettes. Cette appellation un peu réductrice sera reprise durant toute une partie de l’intervention sans incidence cependant. On parlera de 5 000 palettes, comme s’il s’agissait d’un feu de stock de palettes dans un bâtiment.
Or, il s’agit avant tout d’un feu d’entrepôt frigorifique, dont les marchandises sont traditionnellement stockées sur des palettes, mais qui n’en sont pas le combustible principal.
La perception de ce sinistre va surprendre les intervenants. Le volume est certes enfumé jusqu’au plafond où la fumée est plus noire, mais il y a aussi une couche conséquente de fumées froides blanches au sol, qui s’écoulent même à l’extérieur par les quais de chargement.
À -17 °C, les images de la caméra thermique sont inexploitables. De même pour les lances qui déversent une eau pâteuse gelant en sortie de l’orifice…
Les entrepôts frigorifiques étant par nature particulièrement étanches (il existe tout de même une bande de 13 exutoires à ouverture manuelle ouvrant dans le plénum des cellules 1 et 2), la ventilation, naturelle ou forcée par des ventilateurs mobiles, sera particulièrement difficile.
Il faudra pratiquer trois ouvertures dans la façade ainsi qu’une autre dans le plafond d’une épaisseur de 20 cm d’isolant, tout en surveillant un éventuel départ de feu dans les panneaux pouvant être provoqué par la disqueuse !

Plusieurs trouées d’attaque et de ventilation ont été réalisées par les sapeurs-pompiers.
À ce propos, l’incendie est éteint alors que des traces indiquent des températures élevées sur les panneaux contre lesquels sont appuyés les racks. Elles sont bien visibles aux endroits où la combustion a été la plus complète. Le feu n’est pas passé dans les panneaux, contrairement à ce que l’on constate dans la majorité des cas. Malgré sa durée, cet incendie ne s’est pas propagé à l’isolant pourtant traditionnel et souvent cause de la ruine complète de nombreux bâtiments agro-alimentaires (comme l’incendie d’un entrepôt de fruits et légumes à Rungis en août 2022, dont plus de 7 500 m² ont été ravagés).
Le sinistre représente un coût de plusieurs millions d’euros répartis entre les marchandises impropres à la consommation, les dommages bâtimentaires et les pertes d’exploitation. Une partie des 40 employés travaillant sur le site sont répartis sur d’autres sites locaux de l’entreprise ou mis en chômage partiel.
Article extrait du n° 590 de Face au Risque : « Contrôle d’accès, mener son projet » (mars 2023).
René Dosne
Lieutenant-colonel (rc), créateur du croquis opérationnel à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris
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