Incendie du cinéma Ciné 32 à Auch

22 novembre 202114 min

Le 29 juillet 2021 à Auch (Gers), ce qui aurait pu rester un banal feu de poubelle se transforme en feu de bâtiment, menaçant, des heures durant Ciné 32, le complexe cinématographique de cinq salles. Façade et bâtiment étaient en bois…

Article extrait du n° 576 de Face au Risque : « Le feu fait son cinéma à Auch » (octobre 2021).

Un développement sournois du feu au Ciné 32 à Auch

C’est un passant qui prévient la police vers 2h30 le jeudi 29 juillet 2021, pour « fumée et flammes à l’arrière du complexe côté restaurant, au Ciné 32 ». Une patrouille en ronde est dirigée sur place tandis que les sapeurs-pompiers sont alertés à 2h40. Les policiers qui se présentent constatent qu’un feu de conteneur plastique se propage à la façade.

À l’arrivée du premier engin-pompe quelques minutes après, suivi d’une échelle, le feu s’est glissé sous la sous-couche de tôle ondulée qui se distend et rougit. La porte du bâtiment la plus proche est rapidement forcée.

« Feu extérieur du mur Ciné 32. Feu sur les bardages, une lance en manœuvre, reconnaissances à l’intérieur. »

Il est près de 3h. L’intérieur du bâtiment est enfumé. Les tirez-lâchez de trois exutoires de fumée sont actionnés, le quatrième ne se déclenche pas. Le feu est déjà passé à l’intérieur du bâtiment, au niveau du bar, parallèlement à son développement en façade. Si l’action de la première lance abat assez rapidement les flammes qui s’élèvent le long du mur et lèchent le plafond, il apparaît bientôt que le feu a gagné le plancher du premier étage, qui abrite les bureaux…

Le dégarnissage de la façade est entamé, tandis que l’échelle est développée en toiture, d’où s’échappe une importante fumée.

Un ventilateur et un fourgon de désincarcération sont demandés. Ce dernier dispose des outils permettant de découper les panneaux.

Les renforts arrivent

Le dispositif se renforce en engins-pompes et moyens aériens. Le feu se propage sous les tôles et l’isolant de la façade sur environ 40 m2. La ventilation est en cours. Une deuxième lance est établie à l’intérieur pour combattre les propagations qui se développent dans les parois et planchers du premier étage.

La découpe des panneaux sandwich et des bardages de tôle ondulée est compliquée.

Le multiplex implanté en ville dans une zone regroupant des activités culturelles, comprend cinq salles de différentes capacités, dont la plus grande peut accueillir jusqu’à 303 spectateurs. Sa capacité totale est de 847 places. C’est un ERP de type L de 1re catégorie.

Les cinq « boîtes » sont en béton coupe-feu 2h, avec une toiture multicouches sur poutres bois lamellé-collé.

Le bâtiment d’accueil – caisses et foyer-bar au rez-de-chaussée, administration et bureaux en mezzanine au premier étage –, est à structure bois lamellé-collé, façades, planchers et toiture multicouches bois. Sa surface au sol est d’environ 370 m2.

L’ensemble, qui occupe une surface au sol de 2 600 m2 environ, a été livré en 2012.

Le bâtiment sinistré est accessible aux engins de secours sur deux faces.

L’intervention va être longue

Peu après 4h, le feu progresse toujours. Trois lances sont en manœuvre. Le feu a gagné un quart de la façade ouest, trois bureaux au premier étage. Et il progresse sur un quart de la toiture.

De multiples trouées sont pratiquées. Un bras élévateur articulé est positionné, en plus d’une échelle à nacelle, afin de permettre la progression des équipes amarrées, en sécurité.

À 6h, cinq lances sont en action ou en attente, dont deux sur moyens aériens. Au lever du jour, un drone effectue une reconnaissance des toitures du bâtiment sinistré et de la première salle contiguë (mur coupe-feu 2h).

Vers 7h, l’action des secours permet de s’orienter vers une évolution favorable, et le feu est maîtrisé vers 8h30.

Vers 10h, les points chauds sont noyés à mesure qu’ils sont mis à jour. Les opérations de découpe, dégarnissage et extinction se poursuivent jusqu’ à ce qu’aucun point chaud ne soit détecté à la caméra thermique.

Les opérations actives cessent vers 19h, lorsque le feu est déclaré éteint, et sont suivies de rondes régulières.

Vingt engins issus d’une dizaine de centres de secours auront été engagés. Aucune victime ne sera à déplorer.

Bien que les salles de projection n’aient pas été impactées par l’incendie, la mise hors service du bâtiment accueil-administration-restauration et l’enfumage d’une partie du complexe entraînent sa fermeture « jusqu’à nouvel ordre ». Et le chômage technique pour 25 collaborateurs.

Un feu de poubelle qui se transmet à la façade de Ciné 32

Les dégâts structurels au bâtiment sinistré sont importants. Une grande partie de la façade, des cloisons intérieures et de la toiture doit être remplacée.

La cause du sinistre est rapidement connue : un jeune incendiaire expliquera avoir jeté des papiers enflammés dans le conteneur à ordures placé contre la façade. Mais ce qui aurait pu en rester là contre un mur de maçonnerie va prendre une autre dimension…

La façade du bâtiment abritant l’espace accueil, restauration et bureaux, de 350 m2 environ, est recouverte de panneaux isolants multicouches, irrégulièrement recouverts de tôle ondulée. Mais l’ensemble est garni de planches décoratives en bois disposées en chevrons donnant, d’après les architectes concepteurs, une évocation « western »… Et qui dit western dit cinéma. L’ensemble des façades du complexe est ainsi couvert de ces chevrons de bois, à l’exception de la façade nord du bâtiment concerné, garnie de panneaux en polycarbonate.

La transmission du feu à la façade va être aggravée par la présence d’un surplomb de quelques dizaines de centimètres au-dessus du foyer initial ayant pour effet de faciliter la montée des flammes directement dans les panneaux, en les attaquant par dessous.

Lorsque les premiers secours arrivent, les flammes se développent déjà sur plusieurs mètres de haut devant et derrière la façade.

De la façade à la toiture

Plusieurs options s’offrent alors à ce feu évoluant dans un milieu qui lui est particulièrement favorable, puisque sans dispositions constructives propres à l’entraver.

Développement en façade jusqu’à la toiture, étalement en toiture, développement horizontal via le plancher du premier, puis cloisons des bureaux.

S’il lui reste une petite faim, il pourra même, s’il embrase la toiture, gagner via un bardage la toiture et la charpente de la première salle, en poutres de bois lamellé-collé. Mais les sapeurs-pompiers parviendront heureusement à contrarier ses projets.

Au lever du jour, un drone effectue une reconnaissance des toitures du bâtiment de Ciné 32.

Un feu de multiplex complexe

Comme nous l’avons vu sur de précédents sinistres, un feu sur la voie publique, poubelle, dépôt d’encombrants, deux roues, voiture… est à même d’entraîner une vraie catastrophe pour ces bâtiments dont la façade combustible, souvent décorative, commence près du sol (lire ci-dessous « Les précédents »).

Pour les sapeurs-pompiers, la lutte contre ce type de sinistre s’inscrit dans la durée.

La première attaque « réflexe » s’opère traditionnellement par l’extérieur avec une lance sensée contrôler le feu qui s’étale en façade.

La première reconnaissance à l’intérieur révèle immédiatement la complexité du problème…

Le feu est déjà parti dans les planchers et les murs via les isolants de laine de bois de 15 cm d’épaisseur. Ceux-ci, après leur destruction, laissent des volumes creux entre chevrons dans lesquels gaz de combustion et flammes s’insinuent. De plus, les volumes creux sous plafond abritent le réseau électrique.

Un sapeur-pompier, progressant dans un bureau du premier étage, voit le plancher fragilisé par ce feu invisible céder sous ses bottes.

Il faut 30 à 45 minutes pour que les secours quittent la phase « réflexe » traditionnelle engagée par le premier détachement, et adoptent une stratégie à la mesure de ce feu qu’ils vont devoir poursuivre des heures durant. Ils engagent des moyens spécialisés de découpe et de forçage, des caméras thermiques, un drone (le département en possède sept dont un équipé thermiquement), des équipes de sauvetage déblaiement.

Les brèches pratiquées laissent échapper des flammes à l’aspect bleuté, gazeux, traduisant l’intensité du feu et son installation dans les lieux.

À quelques exceptions, ce sinistre ne génère pas de hautes flammes et de panache dense et puissant traduisant une bonne oxygénation, mais une fumée diffuse dans laquelle le bâtiment baignera une partie de la journée.

Après le sinistre, on distingue bien l’enchevêtrement des couches d’isolant du bâtiment d’accueil.

La liste des sinistres impliquant des constructions bois et les problèmes que pose l’extinction de leurs parois isolantes multicouches, faisant aujourd’hui appel à toutes sortes d’isolants naturels, tels que paille, ouate de cellulose, laine de bois, enfermés dans des caissons de bois, s’allonge à mesure que ces bâtiments sortent de terre. Et des IGH sont dans les cartons…

Dans nos colonnes, nous en avons relatés plusieurs :

  • San Francisco où une résidence de plus de 7 000 m2 sur sept étages en bois a été totalement emportée la veille de sa livraison (Face au Risque n° 505, septembre 2014) ;
  • Lavelanet et ses trois morts, pour un feu de voiture éclatant sous le bâtiment (Face au Risque n° 507, novembre 2014) ;
  • Salon de Provence où, de guerre lasse, les pompiers ont dû se résoudre à abattre à la pelle mécanique un bâtiment de 10 appartements (Face au Risque n° 520, février 2016) ;
  • Draguignan et son feu de façade et balcons bois sur 6 étages (Face au Risque n° 554, juillet-août 2019).

Sans compter les multiples incendies de résidences de montagne, en béton, mais aux balcons et revêtements de façade en bois.

Un incendie similaire à Béziers

Ce feu est à rapprocher d’un autre, lui aussi survenu en façade d’un multiplex, à Béziers, le 17 juin 2021. Le complexe de neuf salles est intégré dans un centre commercial de 40 000 m2 livré en 2008.

Là encore, le feu, initialement extérieur (sur un panneau lumineux publicitaire), est rapidement passé en sous-face de la façade, trouvant dans l’habillage de bois et isolant une voie royale.

Les 50 spectateurs de la salle contiguë ont été évacués, tandis que le centre commercial était momentanément fermé.

Alertés vers 21h, les secours ont été confrontés à un feu de façade multicouches qui, au fil des heures, a gagné la toiture. Vers 22h, le feu violent se propageait sous le revêtement bitumeux de la toiture. Il était combattu par des lances au sol et sur échelle, puis à l’intérieur. Il n’a été circonscrit que vers 0h30, après qu’une lance haute pression est parvenue, après perçage, à atteindre les foyers les moins accessibles. Un drone était, là aussi, engagé.

Les problématiques des constructions en bois

Ce qui caractérise ces incendies de constructions en bois, c’est la difficulté à trouver des points où une rupture combustible permettrait aux sapeurs-pompiers d’appuyer leur dispositif, de « l’attendre ».

Par exemple, ne pas permettre au feu qui se développe en façade de se propager dans les planchers, par la mise en place d’écrans ou d’éléments incombustibles interrompant l’effet de mèche. Est-ce possible ?

Dans la quasi-totalité des cas que nous avons relatés dans nos colonnes, l’immeuble est un ensemble homogène où le bois assure la continuité combustible des murs, des planchers, des toitures. Ce constat est aggravé par la conception des parois et des toits sous forme de caissons de bois emplis de matériaux isolants précédemment énumérés.

Une paroi est ainsi constituée de cinq à six couches de matériaux différents, dont certains sont combustibles, où circulent des lames d’air.

L’extinction automatique

Outre le dégarnissage des parties brûlées avec des équipements spécifiques (fourgon de secours routier, matériel de sauvetage-déblaiement, lance perforante type Cobra, caméra thermique pour suivre l’évolution des points chauds), la création de « lignes d’arrêt », notamment en toiture, implique de faire une part du feu. C’est une délicate équation entre la vitesse de progression du feu dans les panneaux et le temps d’élaboration de la ligne, par découpe à la disqueuse ou déboulonnage de bardages avec, enfin, la mise en place d’un dispositif d’attaque. Cette ligne ne doit être ni trop loin, ni trop près !

Lorsque l’on observe les ruines d’immeubles de grande étendue, en bois, matériau vedette de construction, notamment sur la côte ouest des Etats-Unis, on ne voit dépasser du champ de poutres calcinées que les trémies d’ascenseur et d’escalier, en béton, émergeant du rez-de-chaussée, lui aussi en matériau incombustible. Le rez-de-chaussée, et parfois le premier étage, en dur ajouté au sprinklage intérieur et extérieur permet au moins de préserver l’édifice d’un banal feu de voie publique.

Le bois, matériau noble s’il en est, aux qualités multiples en construction, et plébiscité dans nos cheminées pour ses qualités combustibles, doit voir son emploi soigneusement étudié en constructions exclusivement bois. Ceci afin d’éviter que le feu ne s’y promène impunément et qu’il rencontre, entre mur et plancher ou entre mur et toiture, une zone où les sapeurs-pompiers savent qu’ils disposent de peu de temps pour le stopper.

Lorsque l’architecte choisit de ne pas exposer la structure bois, celle-ci peut facilement être enrobée de plaques incombustibles. Mais lorsque, pour une question de parti architectural, il choisit de l’exposer, il faut alors s’orienter vers des dispositifs propres à coiffer tout départ de feu dans l’œuf, telle l’extinction automatique.

La protection des sapeurs-pompiers

Bien sûr, une construction avec une structure porteuse en bois ne s’effondrera généralement pas sur ses occupants avant que ceux-ci aient pu l’évacuer, selon l’argumentaire rodé. Mais que dire de la sécurité des sapeurs-pompiers devant ensuite s’y engager pour limiter le feu ? Seront-ils contraints à une attaque massive et exclusive par l’extérieur qui laisserait les flammes se développer en périphérie encore non atteinte ?

À Auch, le multiplex est fait d’un bâtiment d’accueil à structure bois et de cinq « boîtes » en béton. Le mur de celles-ci, bordant la rue sur près de 100 m, est recouvert de chevrons décoratifs en bois, légèrement décollés du mur de béton. En cas de feu extérieur, celui-ci sera limité au seul revêtement et ses conséquences seront peu importantes. Mais ce même revêtement était aussi plaqué sur le bâtiment d’accueil sinistré, avec en sous-couche les caissons emplis d’isolant et structure bois. Il a suffi qu’une poubelle y soit adossée et qu’un incendiaire désœuvré passe…

Ils correspondent à ce qu’exige un ERP de cette catégorie.

Désenfumage, RIA, extincteurs, compartimentage des salles, isolation des circulations, issues de secours en nombre.

Le site n’est pas répertorié par les sapeurs-pompiers, mais le lieu leur est connu et fait l’objet, avant même le premier message de renseignement, d’un renforcement en engins-pompes et moyens aériens, entre-autres.

Trois poteaux d’incendie sont implantés sur la voie publique dans un rayon de 100 m, le premier étant à 20 m, face au bâtiment).

Le centre de secours d’Auch est à 1 200 m et l’heure de l’intervention garantit une arrivée rapide.

René Dosne

René Dosne

Depuis janvier 1983, René Dosne écrit et illustre la rubrique Feux Instructifs dans Face au Risque. Collaborateur de nombreux magazines dédiés aux sapeurs-pompiers, il a créé et assuré la spécialité de dessinateur opérationnel au sein de la Brigade des Sapeurs-pompiers de Paris (BSPP) où il était lieutenant-colonel (r). Dans sa carrière, il a couvert la plupart des grands feux, mais aussi explosions, accidents en France comme à l’étranger.

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