Flash DGSI. Exemple de manœuvre étrangère ciblant le savoir-faire stratégique d’une entité française

21 mai 20218 min

Flash ingérence économique n° 71 de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI).

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Ce « flash » évoque des actions d’ingérence économique dont des sociétés françaises sont régulièrement victimes. Ayant vocation à illustrer la diversité des situations auxquelles les entreprises sont susceptibles d’être confrontées, il est mis à votre disposition pour vous accompagner dans la diffusion d’une culture de sécurité interne. Par mesure de discrétion, le récit ne comporte aucune mention permettant d’identifier les entreprises visées.

Au titre de sa mission d’analyse de l’ingérence économique étrangère, le Service met en exergue les menaces multiformes qui pèsent sur le patrimoine économique et scientifique national et détecte les acteurs économiques étrangers malveillants qui ciblent en priorité les secteurs français détenteurs de savoir-faire et de technologies de pointe.

Pour arriver à leurs fins, ces acteurs économiques étrangers ont recours à divers modes opératoires, lesquels sont rarement employés de manière isolée. Ils s’articulent entre eux et s’enchaînent dans le cadre de stratégies globales réfléchies, le plus souvent sur un temps assez long, afin de s’approprier les savoirs ou les biens convoités.

Ce flash illustre la succession, au fil des ans, des manœuvres et des actions mises en œuvre par une entreprise étrangère au détriment d’une entité française.

Première phase

Dans le cadre de relations commerciales établies depuis plusieurs années avec un grand groupe international, une société française, leader dans son domaine industriel, s’est engagée dans la création d’une co-entreprise, hors de l’Union européenne, dédiée à la fourniture de matériel pour cet acteur étranger directement dans son pays.

Les tractations, menées par un cadre de la société française disposant d’un mandat élargi et chargé de négocier ce partenariat, ont abouti à la signature d’un accord visant à la création d’une joint-venture avec le groupe étranger. Or, en l’absence de limites fixées clairement par la hiérarchie de l’entreprise française et sans que les vérifications d’usage de type due diligence aient été effectuées, des clauses favorisant un transfert de technologie, en toute légalité et sans limite de temps, ont été introduites au bénéfice de la société étrangère.

Par ailleurs, au cours des négociations, un intermédiaire du groupe étranger, jusqu’alors inconnu de la société française, s’est révélé particulièrement actif. De la même nationalité que la société étrangère, cet individu a profité des nouvelles relations commerciales instaurées entre les deux structures pour participer à plusieurs visites au sein de la société française, qui lui ont offert l’opportunité d’approfondir ses connaissances du fonctionnement interne de celle-ci.

Deuxième phase

Quelques années après la création de la joint-venture à l’étranger, l’intermédiaire, apparu opportunément dans l’environnement de la société française, a créé, à proximité de celle-ci, une société concurrente spécialisée dans le même secteur d’activité qui, très rapidement, a procédé au débauchage de plusieurs cadres de la société française.

Le premier cadre à avoir rejoint cette nouvelle société, fondée en France par l’intermédiaire étranger, avait notamment participé à la création de la joint-venture à l’étranger. Une fois recruté, il a activement participé au ciblage et au débauchage d’autres employés, notamment un ingénieur ayant travaillé pendant plusieurs années dans le service dédié à la recherche et développement. Sa connaissance fine de l’entreprise et des relations entre les salariés ont favorisé le ciblage des individus susceptibles d’être facilement débauchés.

Ces anciens employés, qui n’étaient soumis à aucune clause de confidentialité dans le cadre de leur contrat d’embauche et n’avaient signé aucun document allant dans ce sens au moment de leur départ, ont repris leurs travaux sur les mêmes produits au sein de la structure créée par le ressortissant étranger.

Troisième phase

Une année seulement après sa création, la société concurrente, créée par l’intermédiaire étranger, a mis fin à toutes ses activités et s’est séparé de ses employés. Ces évènements ont coïncidé avec la fin des travaux de conception menés par les anciens employés de la société française.

Ces derniers ont ainsi fourni à la société concurrente de nombreux documents sensibles appartenant à leur ancien employeur, notamment des données commerciales et marketing, ainsi que des documents techniques et stratégiques de R&D. L’ensemble de ces informations était le fruit du travail d’une cinquantaine d’ingénieurs spécialisés, pendant plusieurs années.

Peu de temps après avoir mis au point des produits similaires à ceux de la société française, les salariés de la société créée en France par l’intermédiaire étranger ont constaté que leur salaire n’était plus versé, que les comptes de la société avaient été vidés, que leurs cotisations sociales n’avaient pas été honorées par leur employeur et que plusieurs mois de loyer étaient restés impayés.

L’intermédiaire étranger est retourné dans son pays où l’une de ses sociétés, dans le même secteur d’activité, continue de travailler activement avec le grand groupe avec lequel la société française avait créé une co-entreprise.

Commentaires

Dans l’exemple précédent, un groupe international étranger a mis en place une stratégie efficace sur le long terme destinée à détourner la technologie sensible d’une société française, leader dans son domaine d’activité.

Dans un premier temps, l’acteur étranger a cherché à s’approprier le savoir-faire stratégique d’une société française par le biais d’un partenariat imposant des clauses intrusives. Cette première étape a également permis à d’autres acteurs économiques d’entrer en contact avec la société française.

Dans un second temps, la société française a subi plusieurs débauchages et a vu émerger un concurrent direct sur le territoire national.

Dans un troisième temps, les salariés débauchés ont partagé avec leur nouvel employeur des documents stratégiques et techniques de la société française, notamment en R&D. En moins d’un an et avec une poignée d’employés, l’acteur économique étranger est ainsi parvenu à s’approprier les résultats de plusieurs années de recherche menées par des dizaines d’ingénieurs de la société française.

Les connaissances détournées de la société française ont renforcé l’acteur économique étranger sur son marché national. Grâce à des économies d’échelles, il peut également commercialiser à des prix plus attractifs les produits développés grâces aux différentes captations et s’imposer ainsi comme un concurrent direct à l’international de la société française, qui n’est désormais plus leader sur son segment d’activité.

Préconisations de la DGSI

  • Évaluer l’honorabilité du partenaire potentiel avant la conclusion du partenariat. Il s’agit de recueillir le maximum d’informations sur le partenaire potentiel et d’évaluer ses intentions. Pour cela, il est possible de se rapprocher des administrations compétentes, notamment les services de sécurité économiques rattachés au ministère de l’économie, des finances et de la relance, et du ministère de l’Intérieur.
  • Accorder une attention particulière à la préparation des rencontres avec le partenaire potentiel. Dans le cadre de rencontres formelles et informelles, il convient notamment de s’assurer de ne pas fournir prématurément des informations stratégiques.
  • Délimiter clairement les pouvoirs des mandataires à l’occasion de signatures de contrats commerciaux. Il s’agit d’éviter que la poursuite d’un objectif commercial prenne le pas sur les intérêts stratégiques de l’entreprise.
  • Accorder la plus grande attention aux clauses relatives au transfert de savoir-faire et de technologie lors de la rédaction du contrat de partenariat.
  • Veiller à garantir une protection juridique suffisante aux technologies les plus sensibles, notamment lorsqu’elles entrent dans le cadre de futurs partenariats. Il est important de s’interroger sur l’opportunité de déposer des brevets en France ou à l’étranger, et de prévoir des clauses strictes relatives à la protection de la propriété intellectuelle.
  • Au moment de l’embauche, insérer des clauses de confidentialité et de non-concurrence dans les contrats de travail des employés.
  • En amont des départs, notamment lorsque l’employé a eu accès à des données sensibles, évaluer les risques de fuite d’informations au cas par cas et, le cas échéant, mettre en place des mesures visant à minimiser leurs conséquences.
  • À l’occasion du départ des collaborateurs, s’assurer du retour de l’intégralité des documents sensibles et matériels informatiques détenus. Il convient d’avoir au préalable identifié les documents, classés en fonction de leur sensibilité, auxquels le collaborateur a eu accès.
  • Mettre en place une veille stratégique active (technologique, juridique, concurrentielle, etc…) afin d’assurer un suivi de son domaine d’activité. Il s’agit notamment d’être en mesure de détecter tout changement, présent ou futur, pouvant affecter son environnement économique et pouvant constituer un risque pour la pérennité de son activité.
  • Recenser et classer ses données en fonction de leur niveau de sensibilité afin d’en assurer un meilleur suivi et une meilleure sécurisation. Il s’agit notamment d’identifier les informations stratégiques auxquelles ont accès les salariés et de détecter les vulnérabilités de l’entreprise en la matière.
  • Déposer plainte auprès des services de police, de gendarmerie ou auprès du procureur de la République, pour tout vol de données ou de matériels par un ancien collaborateur.
  • Contacter la DGSI en cas de découverte ou de suspicion d’une tentative de captation d’information.
Logo DGSI.

DGSI
La Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) est l’unique service spécialisé de renseignement français relevant du ministère de l’Intérieur.

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