Améliorer la connaissance pour être mieux préparé

2 août 20197 min

Le Bureau d’analyse des risques et pollutions industriels (Barpi) a été créé en janvier 1992 pour développer le retour d’expérience issue de l’accidentologie industrielle. Jean-François Bossuat, chef du bureau, nous explique les vertus du retour d’expérience.

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En 1976 se produit la catastrophe de Seveso du nom de la commune italienne touchée par le nuage de dioxine de l’usine Icmesa de Meda. À l’époque, la réglementation européenne se met en place et s’identifie avec le nom de cette commune. En 1984, à la suite de la catastrophe de Bhopal, le général Férauge, ancien commandant de la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris, prend la tête d’un groupe de travail du Conseil supérieur des installations classées. L’idée, à l’instar de ce qui existe dans l’aéronautique ou le nucléaire, est de recueillir des données sur le retour d’expérience.

C’est en 1992 que la décision est prise de le confier à un bureau du ministère de l’environnement – devenu depuis ministère de la Transition écologique et solidaire. En février 1993, le bureau ouvre la base de données Aria (Analyse, Recherche et Information sur les Accidents) qui répertorie les incidents, accidents ou presque accidents technologiques qui ont porté, ou auraient pu porter atteinte à la santé, la sécurité publique ou l’environnement. Elle contient plus de 50 000 événements collectés au fil de 27 années d’existence.

Pourquoi la base de données n’a-t-elle été ouverte au public qu’en juin 2001 ?

Jean-François Bossuat. Cette base a plusieurs une mine d’informations pour les industriels. Le retour d’expérience doit pour cela être très structuré et partagé. D’où notre implantation à Lyon, près de la vallée de la Chimie, des sièges sociaux et des centres de recherche de nombreux industriels. Ensuite, la volonté a été d’ouvrir l’information aux bureaux d’étude puis au public.


« On exploite des accidents pour mettre en évidence leur genèse,
expliquer leur développement et partager le retour d’expérience. »


Comment la base est-elle alimentée ?

J.-F. B. Les sources d’information les plus riches sont d’abord les rapports de l’Inspection des installations classées suite à des accidents industriels. Les exploitants sont d’ailleurs tenus d’en informer l’inspection. Les services d’intervention et de sécurité civile, la presse spécialisée, les organisations professionnelles sont d’autres sources que nous exploitons. On ne prétend pas faire de l’exhaustivité. On exploite des accidents pour mettre en évidence leur genèse, expliquer leur développement et partager le retour d’expérience. L’accumulation d’un certain nombre d’événements ne permet pas cependant de nous livrer à des exploitations statistiques, tout au plus des tendances peuvent être rapportées. Notre intérêt est plutôt d’être sur le qualitatif. Nous réalisons des synthèses, des alertes, des flashs, des analyses détaillées ainsi que des vidéos pédagogiques.

Les industriels ne sont-ils pas réticents à ce partage ?

J.-F. B. Au-delà des conséquences humaines et des atteintes à l’environnement qui touchent la société, l’exploitant subit de plein fouet les pertes directes, les pertes d’exploitation, sa réputation est mise en cause… Il s’inscrit comme un bénéficiaire de premier ordre. L’information recueillie par l’Inspection est ainsi analysée puis restituée et partagée par le Barpi. Les résumés rédigés font d’ailleurs l’objet d’une consultation auprès des organisations professionnelles. Le Barpi intervient en appui et de manière tout à fait neutre. Je crois que ceci est bien compris des professionnels. Quand nous travaillons sur un accident, notre but final est d’en identifier les causes profondes afin que les remèdes les plus efficaces y soient apportés.

Catastrophe industrielle de Bhopal (photo Bhopal Medical Appeal flickr_commons)
Les causes profondes ?

J.-F. B. À l’origine nous étions sur les aspects techniques ou les erreurs humaines. Derrière ces causes apparentes se cachent souvent des causes organisationnelles, non visibles. Les facteurs organisationnels et humains sont très riches d’enseignements, mais ils touchent un domaine sensible de l’entreprise à investiguer quand son organisation est mise en cause. Quand il y a un accident, le premier réflexe est de rechercher l’opérateur qui a commis une faute… Regardons d’abord pourquoi cet opérateur a agi de la sorte. L’analyse du comportement individuel est essentielle et fait appel aux sciences humaines. Dans ce domaine, je crois que nous avons beaucoup à apprendre. Par exemple, pourquoi des accidents mettent en cause des opérateurs les plus expérimentés ?


« L’un des propres de l’être humain est d’oublier.
Nous sommes en quelque sorte les gardiens
de la mémoire de l’accidentologie industrielle. »


Quand on est confronté à un accident, la vigilance est maximale mais avec le temps et l’habitude on baisse la garde, non ?

J.-F. B. Effectivement, l’un des propres de l’être humain est d’oublier. Nous sommes en quelque sorte les gardiens de la mémoire de l’accidentologie industrielle. Il s’agit d’un travail permanent de rappel à la vigilance des exploitants. Les personnes changent, le travail se modifie, les organisations évoluent et l’on oublie.

On l’observe sur certaines thématiques et professions où l’on enregistre parfois des relâchements dans l’application des règles ou des pratiques. Dans les silos par exemple, nous avons observé une recrudescence d’accidents ces derniers mois et parfois chez des exploitants ayant déjà connu les mêmes événements. On le retrouve à différents niveaux : lorsqu’il y a des nouvelles technologies ou des filières en développement. Le traitement du bois par exemple connaît un essor dans le cadre la transition énergétique. Ainsi le stockage de la biomasse doit respecter certaines règles sinon on observe des échauffements et des incendies. Des règles bien connues sont parfois oubliées ou bien les contraintes économiques de filières conduisent à ne plus les observer.

Comment le retour d’expérience nourrit-il la réglementation ?

J.-F. B. Nous vivons actuellement un vent de simplification au plan réglementaire car il est vrai que les textes deviennent de plus en plus complexes. Simplifier oui, mais il ne faut pas que cela s’accompagne de régressions. Les textes sont examinés en commission à la lumière du retour d’expérience pour savoir quels peuvent être leurs impacts sur le niveau de risque. Il faut rester à maîtrise du risque constante, voire améliorée. Ainsi, à chaque modification, le ministère nous sollicite pour avoir une analyse de l’accidentologie inhérente.

Voyez-vous des modes ou des thématiques se développer ?

J.-F. B. Bien sûr, le dérèglement climatique par exemple. Nous suivons les périodes de canicule, de grands froids ou de risque d’inondation et leurs impacts sur les process industriels. Ce n’est pas forcément que le risque est plus grand mais il revêt des formes différentes qui nécessitent de s’y préparer.

Il y a également la malveillance et ses implications. Notre analysons dans quelle mesure une défaillance de sûreté peut porter atteinte à la sécurité et à l’intégrité des installations industrielles. Nous avons été sensibilisés avec les événements de Saint-Quentin-Fallavier et de Berre-l’Étang.

Le développement du numérique amène à la cybersécurité qui est très suivie par les entreprises parce que les conséquences peuvent être lourdes dès lors que l’information transite par des réseaux.

L’économie circulaire également avec l’accroissement du recyclage des déchets : les produits sont de plus en plus complexes. Les avancées technologiques (piles au lithium…) se répercutent à différents niveaux de notre société et induisent de nouveaux risques.

Enfin, je parlerai des activités disruptives : tout ce qui sort de l’ordinaire. Certaines activités sont très structurées et d’un seul coup une activité qui n’a pas été appréhendée, qui sort des standards habituels et qui prend tout le monde au dépourvu, se développe. À la faveur des nouveaux modes de communication, l’industrie est également concernée et il faut sans cesse actualiser et améliorer notre connaissance du terrain pour être mieux préparé.

Article paru dans le numéro 552 de Face au Risque, daté de mai 2019.

David Kapp
Journaliste

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