Incendie de la fromagerie Livarot

1 mai 19999 min
Image FI n° 353 01 - Crédit: Sapeurs-pompiers du Livarot

Feu instructif. La fromagerie Graindorge à Livarot (Calvados) est la proie des flammes le 8 février 1999. Problèmes majeurs rencontrés par les sapeurs-pompiers: l’absence de compartimentage et d’exutoires ainsi que l’emploi massif de panneaux isolants.  L’usine est détruite mais l’informatique, la comptabilité et les installations techniques sont sauvées. L’entreprise survivra.

Le lundi 8 février 1999, en pleine nuit, un incendie éclate à la fromagerie Graindorge emportant ses 10 000 m² en quelques heures.

À 3 h 16, le chef de corps des pompiers de Livarot, dont le centre de secours domine l’arrière de l’usine, est réveillé par des rafales de détonations. En regardant par sa fenêtre, il voit les toitures de l’usine se volatiliser. Aussitôt, il prévient le centre de traitement de l’alerte et demande d’emblée des renforts ! Une cinquantaine d’appels suivra.

Deux engins-pompes et une échelle sont dépêchés sur les lieux, mais plus de 1 000 m² sont déjà la proie des flammes à 3 h 26. Les structures qui ploient empêchent toute pénétration des équipes dans les bâtiments dont les parties encore préservées vomissent des torrents de fumée noire. Du cœur de l’usine, au-dessus des toits, s’élèvent des flammes d’une quinzaine de mètres…

Dessin RD FI n° 353 RSZ - Crédit: René Dosne

Le secteur est faiblement alimenté en eau et les secours, après s’être branchés sur le poteau de 70 mm, doivent attendre la mise en place de lignes de gros tuyaux jusqu’à une rivière qui coule à 400 m de là. En attendant, les pompiers font la jonction à l’aide de camions-citernes grande capacité (10 000 l).

À 4 h 03, les trois quarts de l’usine sont en flammes et le message signale la présence de produits toxiques, dont de l’ammoniac.

Des risques de pollution aquatique pèsent sur une rivière voisine

Une Cmic (Cellule mobile d’intervention chimique) est envoyée. L’incendie, méthodiquement, progresse dans l’immense volume que représente l’usine vidée de ses panneaux de recoupement, effondrés au sol ou pendus au plafond. À mesure de leur arrivée, les moyens de lutte, selon les secteurs, protègent les installations techniques où la présence d’un simple mur de parpaings arrosé suffit à stopper le feu.

Une camionnette, chargée de bouteilles d’acétylène, est repérée, stationnée contre un mur de bardage porte au rouge… Un officier brise une vitre, grimpe au volant et l’éloigne.

Le directeur de l’usine, rapidement présent, informe les secours sur les points sensibles de son établissement, conseils précieux.

À 5h, le dispositif – 7 grosses lances et 7 petites – est au maximum de ce que permettent les ressources en eau. L’ensemble du site est en feu, excepté l’entrepôt de cartonnages, où se poursuit une attaque acharnée. La pollution de la rivière passant à proximité n’est pas écartée.

II faudra attendre 6 h 43 pour que le feu soit circonscrit par 115 pompiers venus de 6 centres de secours. 7 h 18, « Maitres du feu. Impossibilité de progresser dans les ruines, recherche d’une fuite d’ammoniac. Risque de pollution aquatique non écarté ».

À 7 h 46, l’incendie est très fumigène et le refroidissement progressif des fumées les rabat au sol. Des mesures de confinement sont prises pour la protection d’une maison de retraite située à 150 m. La présence de nombreux foyers abrités sous les tôles, sur une très grande superficie, mobilisera les secours durant plusieurs jours.

L’incendie survient de nuit, dans une usine sans surveillance. Le résultat est garanti : des témoins passant sur la route, 18 minutes plus tôt, ne remarquent rien mais 18 minutes après, 1 000 m² sont en feu. L’incendie est alors apparent dans la partie ancienne, dont il fait éclater les toits. Mais les sapeurs-pompiers remarquent que la partie récemment construite, est dépourvue d’exutoires de fumée... Sa toiture aurait pu retenir l’incendie, ne le laissant éclater à l’extérieur qu’en arrivant là où les toitures sont peu résistantes.

Comme on le remarque à chaque fois, les installations techniques, seuls endroits bénéficiant d’un effort de recoupement, sont sauvées. Même ceux aux murs traversés d’ossatures métalliques chauffées, entraînant des fissures dans les parois, tiendront.

Détail significatif : l’entrepôt d’emballages, considéré comme risque potentiel pour l’usine qu’il borde sur trois faces, est bien isolé. Ses murs C.F. (coupe-feu) 2 h, traversés de portes C.F., tiendront, malgré une brèche occasionnée par la déformation d’un poteau d’acier contigu.

Image FI n° 353 02 - Crédit: Sapeurs-pompiers du Livarot
Seul l’entrepôt d’emballage, aux murs en maçonnerie, émerge des ruines. Son contenu est intact.

Relâchement de gaz toxique dans l’atmosphère

Les cartons palettisés sur grande hauteur ne souffriront pas. Si les stocks d’ammoniac sont préservés, le démantèlement de canalisations entraînées par la chute de structures, provoquera des relâchements de gaz toxique dans l’atmosphère.

La conception de l’usine, l’importante quantité de panneaux isolants disposés en parois, cloisons, plafonds ainsi que ses grandes circulations non recoupées, ses vides sous toiture permettant au feu de s’étendre et la faiblesse étonnante des ressources en eau ne laissaient que peu de chances aux sapeurs-pompiers contraints de faire la part du feu. Heureusement, malgré l’explosion de plusieurs bouteilles de gaz, aucun n’a été blessé.

La société Graindorge est une entreprise en pleine expansion, leader du Livarot et du Pont l’Evêque. Les trois sociétés qui la composent alignent des chiffres d’affaires de 160 MF, 25 MF et 2 MF. L’usine détruite employait 115 employés. 43 restent sur le site et dans les bureaux. 70 seront répartis chez les sous-traitants. L’informatique et la comptabilité sont intactes. Seuls les documents techniques ont été détruits.

Dès le jour de l’incendie, 40 000 l de lait parviennent, comme tous les jours, à la fromagerie. Il s’agit de trouver des sous-traitants à même de poursuivre la production. Conjointement, un entrepôt de 5 000 m² sera trouvé pour y stocker les emballages qui seront ensuite livrés à trois sous-traitants. Des locaux sont loués à Vire, à 100 km de là, pour y établir un site de réception d’où, à partir du 1er mars, la clientèle est à nouveau livrée.

Un stock de huit jours existant au moment du sinistre, la rupture de stock n’aura pas dépassé dix jours… 40 000 fromages, faits à partir de 100 000 l de lait, sortaient des installations érigées en 1994. On évalue à 18 mois le redémarrage d’une nouvelle unité, à Livarot. L’outil de fabrication peut être livré sous un an et trois mois de réglages. Les bâtiments, eux, sortiront de terre dans un an. Souhaitons que, là encore, des réponses alliant productivité et sécurité incendie soient enfin apportées.

L’usine est équipée de RIA (robinets d’incendie armés) et d’extincteurs. Elle ne possède pas de système de détection incendie. Les moyens en eau sont faibles : un poteau d’incendie de 70 mm, un point d’eau (rivière) à 400 m. Malgré cela, l’entreprise ne dispose pas de réserve d’incendie propre, encore moins de réseau d’extinction automatique. L’établissement est une installation classée pour la protection de l’environnement (ICPE) répertoriée par les sapeurs-pompiers. Plusieurs d’entre eux sont employés à l’usine.

Construite à partir de 1910, l’entreprise a été agrandie de 5 000 m² environ en 1994. La partie ancienne de l’usine est un amalgame de bâtiments de tous types, à simple rez-de-chaussée. Structures bois, béton et acier y cohabitent, le tout coiffé d’une couverture amiante-ciment.

Les recoupements intérieurs, nombreux, délimitent les locaux nécessaires à l’activité, affinage, fabrication, etc. traversés de longs couloirs peu recoupés. L’âme isolante des panneaux est la mousse de polyuréthanne, M1 dans la partie construite en 1994, M4 dans la partie ancienne. Les cloisons intérieures sont souvent en polyester, les parois latérales et les faux-plafonds en tôle.

Certaines installations techniques et la salle de contrôle sont en mezzanine. Seul l’entrepôt d’emballages, sensiblement situé au cœur des constructions, a des murs en béton cellulaire, coupe feu 2 h et des portes coupe feu l’isolant du reste de l’établissement.Les installations techniques, telles que production de froid, chauffage et fluides divers, sont séparées de l’usine par des murs de parpaings. Elles comportent par ailleurs 3 000 l d’ammoniac, 3 000 l d’acide chlorhydrique, de la soude, etc.

L’usine dispose d’une station de traitement des eaux alimentée au gaz. Les bureaux, de deux niveaux, sont disposés à 30 m de celle-ci.

La liste des usines agro-alimentaires, abattoirs et entrepôts frigorifiques utilisant des panneaux sandwich à âme de polyuréthanne et emportés dans les flammes est longue. Certains d’entre eux ont été développés dans Face au Risque :

  • Fromageries Le Rustique (cf. Face au Risque n° 285) et Cœur de Lion (cf. Face au Risque n° 303),
  • Abattoirs et salaisons de Châteaubourg (cf. Face au Risque n° 318 et 330),
  • Halle aux poissons de Boulogne (cf. Face au Risque n° 308),
  • Abattoirs de Bruxelles et de Bordeaux (cf. Face au Risque n° 331),
  • et, plus grave, puisque le premier à avoir entrainé la mort de trois ouvriers, les Salaisons d’Ambérieu.

À chaque fois, la présence de mousses, souvent classées M4, ont favorisé le développement fulgurant de ces sinistres dont la caractéristique commune est l’incroyable vitesse de développement. Celle-ci ne laisse aux secours, comme seule alternative, que la protection des installations techniques contiguës, La mise en œuvre des panneaux est, bien sûr, aussi responsable des grands volumes ménagés dans les faux-plafonds, sans recoupement. Aucune mesure pourtant simple et efficace existante ne vient stopper l’effet de mèche qui s’établit entre les panneaux, sur parfois plus de 100 m !

René Dosne

René Dosne
Depuis janvier 1983, René Dosne écrit et illustre la rubrique Feux Instructifs dans Face au Risque. Collaborateur de nombreux magazines dédiés aux sapeurs-pompiers, il a créé et assuré la spécialité de dessinateur opérationnel au sein de la Brigade des Sapeurs-pompiers de Paris (BSPP) où il était lieutenant-colonel (r). Dans sa carrière, il a couvert la plupart des grands feux mais aussi explosions, accidents en France comme à l’étranger.

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