Construction bois : « Nous allons créer un statut particulier de bâtiment à structure primaire combustible autorisée »

12 mai 202510 min

Jean-Michel Servant, délégué interministériel à la forêt, au bois et à ses usages, a dévoilé, le 28 février 2025 lors du Forum international bois construction à Paris, l’état d’avancement des travaux interministériels relatifs à la réglementation incendie et la construction bois. Il revient pour nous sur les progrès déjà faits et ceux qu’il reste à faire.

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Quel est votre rôle en ce qui concerne la réglementation incendie appliquée à la construction bois ?

Jean-Michel Servant. Je suis délégué interministériel depuis le 15 avril 2024, poste qui n’existait plus depuis une quinzaine d’année, mais avant ça, j’ai fait la plupart de ma carrière dans le conseil et j’ai été président de France Bois Forêt. Le sujet de la réglementation incendie par rapport à la construction bois est l’un des sujets prioritaires sur ma lettre de mission. Les volontés politiques sur ce sujet sont assez claires. Personne n’est contre la sécurité des personnes, ni contre le fait que les secours puissent intervenir en sécurité. Et en même temps, personne n’est contre la décarbonation de notre économie et donc de notre construction.

Tout l’enjeu est de rendre ces objectifs compatibles. J’essaye d’apporter une valeur ajoutée en amenant de la méthode et en essayant de construire des consensus par le travail entre les différentes directions, les différents services et les différents acteurs concernés.

Quelle a été cette méthode ?

J.-M. S. Je me suis vite rendu compte qu’on demandait des arbitrages politiques sur un sujet très technique qu’on ne maîtrisait pas. L’arbitrage s’effectuait par des jeux d’influence qui ne se faisaient pas dans la sérénité ni avec la profondeur d’analyse qu’il aurait fallu. J’ai proposé qu’on reparte de la logique de sécurité en premier lieu et qu’on regarde ensuite comment satisfaire ces objectifs de sécurité tout en permettant le développement des usages du bois. Ça n’a l’air de rien dit comme ça, mais c’est quelque chose sur lequel tout le monde s’est accordé, à savoir les ministères de l’Intérieur, du Logement et de l’Agriculture, puisque le secteur forêt bois y était rattaché à l’époque. Cela nous a pris presque une année qui a été mise à profit pour reconstruire le dialogue avec les services mais aussi pour prendre la température avec tous les acteurs sachants du sujet : les sapeurs-pompiers, la préfecture de Police de Paris, les laboratoires…

Je suis très attentif au retour d’expérience des gens de terrain. Ce sont eux qui sont confrontés à la réalité, il faut donc les écouter. C’est pour cela qu’on a fait ressortir des principes forts comme la sanctuarisation des circulations protégées, la protection en phase chantier (un sinistre sur trois est en phase chantier) et la prise en compte de la propagation aux tiers.

Ci-dessous les points clés présentés par Jean-Michel Servant lors du Forum international bois construction 2025.

  • Points clés de la nouvelle réglementation incendie appliquée à la construction bois.
  • Points clés de la nouvelle réglementation incendie appliquée à la construction bois.

Ces principes viennent de retours terrain ?

J.-M. S. De nos différents échanges mais aussi du retour d’expérience de l’incendie de Grésy-sur-Aix et d’autres sinistres récents impliquant le bois. À l’été 2024, alors que nous étions dans la phase de rédaction de ces principes communs, il s’est passé ce sinistre sur un bâtiment emblématique de la 2e famille en ossature bois qui respectait les normes bas carbone. Face à la vitesse à laquelle le feu s’est développé et aux difficultés d’intervention face au rayonnement et la propagation aux tiers, on s’est dit qu’il fallait qu’on comprenne ce qui c’était passé.

Nous avons missionné le CSTB pour faire une analyse avec les données du constructeur, des sapeurs-pompiers… Tout le monde a joué le jeu notamment la filière et le constructeur de l’ouvrage ainsi que les services de secours. Le rapport du CSTB nous a été remis fin décembre 2024. Il me semble qu’il y a deux choses importantes qui n’avaient pas été bien perçues :

  • D’abord, c’est que toute la réglementation actuelle se base sur un feu qui démarre à l’intérieur. On essaie de le confiner dans un local alors que dans les retours d’expérience, le feu démarre le plus souvent à l’extérieur et se propage par la façade puis entre ensuite dans le bâtiment. On avait un angle mort complet.
  • Ensuite, la propagation latérale. Les essais qui traitent de feu de façade sont dans le sens vertical alors qu’on voit bien que le feu peut aussi se transmettre de façon latérale.

On en a tiré treize mesures dont beaucoup concernent les façades ou les chemins de propagation.

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Ces principes forts dont vous parlez seront des principes communs pour les ERP, l’habitation et les bâtiments à usage professionnel (BUP) ?

J.-M. S. Exactement. Nous avons par exemple une ou des protections incendie associées à la hauteur du bâtiment (cf. schéma ci-dessous). Quand on est constructeur ou promoteur, avoir des principes cohérents et communs quel que soit le type de bâtiment, c’est préférable, d’autant plus que les usages évoluent désormais. L’idée est bien d’avoir une base commune pour les trois types de bâtiment mais on garde l’architecture réglementaire avec trois textes. Je lis parfois qu’il n’y aura plus qu’une réglementation : non, on ne change pas l’organisation réglementaire. Nous avons fait un effort de cohérence avec ces principes, qui n’ont pas de portée réglementaire, mais dont chacun doit se saisir pour les décliner dans son domaine.

Nous allons aussi créer un statut particulier de bâtiment à structure primaire combustible. On ne peut pas nier que le bois est combustible. Mais selon la façon dont il est utilisé et la façon dont il est protégé surtout, cela ne conduit pas forcément au même résultat. Pour un bâtiment qui représente une certaine masse combustible, au-delà d’un certain seuil qui reste à fixer, nous demandons qu’au niveau même de la construction du bâtiment, il soit répertorié avec un niveau de risque pour la défense extérieure contre l’incendie (DECI). Est-ce que ce sera un seuil de surface de plancher par exemple, ou de volume de bois compris dans le bâtiment ? C’est encore en débat. Mais les moyens de lutte contre l’incendie adéquats devront être mis en place dès la phase chantier, là où le bâtiment n’est pas encore protégé.

Schéma principes directeurs construction bois et réglementation incendie.

Exigence de protection renforcée des parois des systèmes d’ossature au-delà de 8 m h PBDN (hauteur du plancher bas du dernier niveau) puis système d’extinction automatique à eau (SEAE) obligatoire au-delà de 18 m et et jusqu’à 28 m h PBDN.

Comment ces annonces ont-elles été accueillies par la filière bois ?

J.-M. S. Les principes ont été « plutôt » bien accueillis. On sent une maturité qui n’existait pas il y a trois ans. Chacun est prêt à faire des efforts parce que ce cadre d’insécurité ne bénéficie à personne. Il y a quand même des points d’inquiétude notamment sur les bâtiments d’habitation de la 2e famille car le dernier plancher bas est souvent au-dessus de 8 m. Ce qui veut dire une double protection des parois avec une protection indissociable de l’ossature si on utilise ce mode constructif.

L’autre sujet compliqué, ce sont les mesures de durcissement de la façade. L’écran thermique entre la structure porteuse et la façade quand celle-ci est combustible est une proposition de la filière que nous avons reprise. Ce qui inquiète, ce sont les zones tampons incombustibles qu’on demande en façade pour qu’il faille une demi-heure pour passer d’une zone verticale au compartiment voisin, au droit des coupe-feux intérieurs. Nous demandons un recoupement pendant 30 min, c’est une exigence performancielle. Si la solution prescriptive d’une zone tampon incombustible ne convient pas, c’est aux architectes et bureaux d’études de trouver une solution alternative performancielle.

Quelles sont les prochaines échéances ?

J.-M. S. Nous avons lancé le 27 mars une concertation pour approfondir ces principes communs, avec les différents laboratoires agréés. Une autre concertation doit suivre avec l’écosystème au sens large. Si l’ambition est bien de faire bouger les trois grands textes que sont ERP, habitation et BUP, l’avancement des travaux sur la révision des arrêtés relatifs n’est pas homogène. Avec quelques aménagements, l’arrêté sur les dispositions générales concernant les ERP devrait être publié en juin prochain. Il faudra une année de plus pour sortir les dispositions particulières, ce qui coïncide avec le temps qu’il faut pour mettre en application les dispositions générales. Le vrai jalon de mise en œuvre est donc juin 2026. Il faut donc mettre à profit ce temps pour publier également les textes concernant les BUP et l’habitation, de façon à ce qu’ils entrent en application en même temps en juin 2026.

Un quatrième grand texte nous occupe également, celui sur les solutions d’effet équivalent (SEE) liées à la loi Essoc. Avoir une ouverture sur des exigences fonctionnelles est très attendu par la profession. Le décret est quasi finalisé. Il doit sortir en juin prochain et ensuite il y aura les arrêtés pour définir les procédures qui vont permettre de valider les solutions et les organismes tiers indépendants qui seront habilités à le faire. Les SEE pourront être utilisés pour les ERP, l’habitation et le code du travail.

Avez-vous prévu une évolution de ces nouveaux textes ?

J.-M. S. De toute part il y a cette idée qu’on est dans un contexte évolutif et qu’on ne peut pas se permettre d’attendre 10 ou 15 ans pour réviser les réglementations. Cela veut dire deux choses : on ne sait pas encore comment on va l’appeler, mais on va remettre en place un organe de consultation et de partage de retour d’expérience entre professionnels et services de l’État, y compris bien entendu les forces de secours. On devrait pouvoir le mettre en route dès cet été.

Deuxièmement, on prévoit d’avoir une revoyure explicite par exemple dans 4 ou 5 ans. Il ne faut pas que ce soit trop tôt non plus, pour prendre en compte les différents essais qui ne vont pas manquer, notamment ceux financés par France 2030 qui sont en train de démarrer et qui vont durer plus de deux ans.

Et que va-t-il se passer pour les bâtiments déjà construits ?

J.-M. S. Pour l’instant, il n’y a pas de rétrofit envisagé. La question a été posée et pour être tout à fait honnête, je me la pose encore. Nous avons demandé au CSTB d’évaluer le nombre de bâtiments qui pouvaient être concernés par rapport aux points faibles que nous avons identifiés. Il semble qu’il n’y en ait pas tant que ça, mais on voit bien, par exemple, qu’un balcon qui a une sous-face combustible, c’est un facteur de risque. Est-ce qu’il faut faire un rétrofit sur ces immeubles-là ? C’est quelque chose à creuser. Il peut aussi y avoir des mesures d’atténuation pour des bâtiments qui présenteraient des risques, puisqu’on ne va pas refaire la construction des bâtiments. Il faut qu’il y ait un dosage bien ciblé. Le sujet est compliqué et nous avons prévu d’en parler lors de la concertation. Le travail n’est pas terminé.

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Article extrait du n° 607 de Face au Risque : « Réglementation incendie et construction bois » (mai-juin 2025).

Gaëlle Carcaly – Journaliste

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