Hôpitaux : « Banaliser les violences est un danger »
Face à une violence quotidienne qui augmente dans les milieux de santé, Romain Fortier, ingénieur hospitalier et responsable du service de prévention incendie et de sûreté du centre hospitaliser de l’Estran, a publié en juin 2025 un livre intitulé La sûreté à l’hôpital. Il nous explique sa démarche et sa vision de la sûreté.

Vous avez décidé de publier un livre sur le sujet de la sûreté à l’hôpital. Quel était votre objectif ?
Romain Fortier. Mon objectif est de valoriser l’importance de la sûreté dans nos hôpitaux, notamment face à l’augmentation des violences. Au fil de mon expérience, j’ai pu constater la banalisation de la violence et un effacement des limites. De la part des patients principalement, mais aussi des visiteurs. Je peux comprendre l’énervement parce qu’on a perdu quelqu’un et qu’on veut des réponses, parce qu’il y a eu une naissance difficile… Mais les insultes, les bousculades, les coups, c’est inacceptable.
J’ai écrit ce livre pour alerter sur le sujet. On parle des grands événements comme le meurtre au CHU de Reims, la soignante décapitée à Pau ou encore la voiture bélier qui a foncé dans un service d’urgences dans le Vaucluse. Mais on ne parle pas assez de la violence du quotidien que subissent les personnels dans nos hôpitaux. Le dernier rapport de l’Observatoire national des violences en santé montre une augmentation de presque 7 % des signalements de faits de violence entre 2023 et 2024. Il est fait état de plus de 20 000 signalements, mais on sait que les chiffres sont sous-estimés car on ne déclare pas les incidents à chaque fois, ce n’est pas dans la culture.
J’interviens auprès de l’EHESP, l’école des directeurs d’établissements hospitaliers, et j’entends parfois que la violence fait partie du métier pour les soignants. On ne peut pas l’accepter, la banalisation des violences est un danger. Il faut avoir les moyens de se protéger. Et c’est le rôle de la fonction sûreté de protéger les soignants pour qu’ils puissent agir en sécurité.
« On ne parle pas assez de la violence du quotidien que subissent les personnels dans nos hôpitaux. »
Romain Fortier, ingénieur hospitalier et responsable du service de prévention incendie et de sûreté du centre hospitaliser de l’Estran, et auteur de l’ouvrage La sûreté à l’hôpital.
Comment faire face à ces violences ?
R. F. Il faut déjà bien avoir conscience de la spécificité des hôpitaux et de chacun des services. Si on prend l’exemple de la psychiatrie, de la gériatrie et des urgences, on ne va pas gérer les violences de la même façon. Avec une personne qui a une maladie neurodégénérative, il faudra s’écarter, discuter, avoir des prises de dégagement. Face à une personne saine aux urgences, la violence peut nécessiter un maintien et la légitime défense. En psychiatrie, les consignes sont de maîtriser la personne si possible, sinon de se retirer. En psychiatrie et en gériatrie, il ne doit pas y avoir de percussion.
Ce n’est pas possible d’avoir une stratégie globale pour un ensemble de services. Un des conseils que je pourrais donner, c’est de ne pas faire l’erreur de se dire que si ça fonctionne dans tel service, ça marchera ailleurs. Il faut avoir une stratégie service par service.

Exercice attentat organisé au CH de l’Estran avec la gendarmerie et les sapeurs-pompiers. Dans le scénario, l’établissement était directement touché. © CH de l’Estran.
Comment se décline cette stratégie ?
R. F. Si je prends l’exemple de notre centre hospitalier, quelques semaines avant que j’arrive à mon poste il y a quatre ans, un patient dans le service psychiatrie s’était retranché dans un office du personnel et avait du verre et des couteaux à portée de main. Du personnel avait dû rentrer avec un matelas pour contenir le patient. Des soignants et le patient avaient été blessés. Le système de demande d’assistance n’avait pas fonctionné et le matériel pour intervenir n’était pas adéquat. J’ai donc travaillé sur le matériel et la formation.
Nous avons mis en place un nouveau système d’alerte et un écran de protection pare-lames, en kevlar, qui permet aux soignants d’envelopper le patient. Côté formation, nous avons mis en place une douzaine de formations par an en lien avec la sûreté, sur la gestion de la violence verbale et physique, le risque terroriste, la radicalisation. Nous formons entre 60 et 70 personnels à la gestion de la violence chaque année, avec des formations adaptées selon les services. C’est indispensable, pour éviter l’effet de sidération notamment. J’essaie de proposer des formations flash car je sais que ce n’est pas simple pour les soignants de se libérer.
On a aussi créé une équipe de sécurité-sûreté composée de trois agents, avec un agent présent physiquement 7 jours sur 7 de 8 h à 18 h, et avec un système d’astreinte le soir. Il a fallu intégrer cette équipe dans l’écosystème du centre hospitalier. Cela n’a pas toujours été simple mais c’est aujourd’hui accepté. On est appelé trois, quatre fois par semaine : on reçoit l’alarme via le nouveau dispositif d’alerte et on intervient, ou on est parfois appelé en amont dès qu’une tension s’installe. Des médecins nous demandent aussi d’être présents lors de rendez-vous à risque.
On travaille, en outre, étroitement avec les forces de l’ordre, pour qu’elles connaissent les lieux et pour des exercices.
« Le plus important est d’acculturer les soignants à la sûreté. »
Romain Fortier, ingénieur hospitalier et responsable du service de prévention incendie et de sûreté du centre hospitaliser de l’Estran, et auteur de l’ouvrage La sûreté à l’hôpital.
Ce sont toutes ces actions qui permettent de créer ce que vous appelez dans votre livre « une armure de sûreté interne à l’hôpital » ?
R. F. Oui mais je dirais qu’en premier lieu, le plus important est d’acculturer les soignants à la sûreté. Il faut travailler avec eux, comprendre leurs difficultés et leur expliquer ce qu’on fait. Si on vient mettre tout de suite des caméras, du contrôle d’accès, des zones sécurité sans expliquer pourquoi, cela ne va pas fonctionner. Ce n’est pas le bon ordre.
On ne crée pas une « armure » en fermant toutes les portes et en mettant du blindage partout. Si le soignant ne sait pas pourquoi telle porte doit rester fermée, il finira par mettre une cale car la porte est trop lourde. Si on a acculturé et formé les gens, ils sauront réagir, ils n’auront pas cet effet de sidération, ils sauront faire attention à la fermeture de certaines portes, adapter leur comportement à une tension qui s’installe… C’est par là qu’il faut commencer. Dans notre centre hospitalier, ça fait moins d’un an qu’on a commencé à changer notre système de vidéosurveillance et à renforcer notre contrôle d’accès.
Il y a encore dans la sûreté cette image de gros bras. Non, la sûreté est une stratégie avec une vision, des actions à court et long termes. Certaines choses peuvent et doivent se faire rapidement, comme la mise en place d’un système d’alerte par exemple. Pour le reste, il faut du temps pour discuter avec les personnels et leur faire comprendre notre démarche.
Formation des soignants à l’utilisation de l’écran de protection pare-lames. © CH de l’Estran.

Quels conseils pourriez-vous donner aux responsables sûreté d’établissements de santé ?
R. F. D’être patients, d’avoir de la persévérance, d’être réguliers dans leurs actions. De discuter avec les soignants et de faire des retours d’expérience. La prise de conscience s’améliore. Je ne dis pas qu’il n’y a pas d’embûches. C’est long, mais si on explique, à la fin, ça se passe bien.
Il faut aussi savoir faire passer les bons messages au directeur de l’établissement. Les directeurs manquent de temps. Il faut leur exposer des faits précis et la solution qu’on pourrait apporter. C’est parfois difficile de parler d’investissements dans la sécurité quand tout se passe bien. Mais attention, administrativement et pénalement, le directeur de l’établissement est responsable. Investir c’est protéger les employés, les patients, les visiteurs, mais aussi se protéger juridiquement.
Par ailleurs, si demain il se passe quelque chose et qu’il faut « réagir », cela va être mal fait, car il va falloir faire vite, et cela va coûter cher. La sûreté doit être dans l’action du quotidien et non dans la réaction. On ne pourra pas tout anticiper, mais l’idée est de pouvoir absorber un événement et de pouvoir l’arrêter le plus rapidement possible.
« Investir c’est protéger les employés, les patients, les visiteurs, mais aussi se protéger juridiquement. »
Romain Fortier, ingénieur hospitalier et responsable du service de prévention incendie et de sûreté du centre hospitaliser de l’Estran, et auteur de l’ouvrage La sûreté à l’hôpital.
Quelles suites attendez-vous après la publication de votre livre ?
R. F. J’ai eu des retours de membres du gouvernement, de députés… Je suis ouvert à l’échange. J’aimerais partager aussi davantage avec des responsables sécurité, des directeurs d’établissement. On est tous concernés par la sécurité à l’hôpital. Tout le monde peut être amené à y aller et doit pourvoir s’y sentir bien. Il faut parler de la sûreté pour développer une réelle culture de sûreté. Dès qu’on construit un bâtiment hospitalier ou quand on fait des aménagements, il faut penser sécurité incendie mais aussi sûreté. Si par exemple le service d’urgences doit être réaménagé, pourquoi ne pas renforcer la résistance de l’accueil ? Ou peindre les murs avec une peinture apaisante ? Est-ce qu’on ne pourrait pas prévoir une télévision protégée pour occuper les gens pendant l’attente, ou installer un système d’estimation du temps d’attente ?
Aujourd’hui il y a des extincteurs, des blocs d’éclairage, des déclencheurs manuels partout. Ça fait partie de la culture sécurité. Il faut faire pareil avec la sûreté.

Reconnaissance extérieure lors d’un exercice attentat, après un signalement d’un individu violent. © CH de l’Estran.
Article extrait du n° 610 de Face au Risque : « Photovoltaïque et risque incendie » (novembre-décembre 2025).

Gaëlle Carcaly – Journaliste
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