Vidéosurveillance algorithmique dans l’espace public : un projet toujours en attente

21 juillet 20257 min

La vidéosurveillance algorithmique est probablement la technologie la plus évoquée à l’heure actuelle lorsqu’il est question d’intelligence artificielle dans des solutions de sûreté. En France, la tentative de prolongation de l’expérimentation dans l’espace public a été retoquée par le Conseil constitutionnel le 24 avril 2025.

Voie de covoiturage © Crédit Sebleouf/Wikimedia

Qu’est-ce que la VSA ?

La vidéoprotection algorithmique – également appelée « vidéosurveillance algorithmique », « vidéosurveillance augmentée » ou « VSA » – « désigne des dispositifs vidéo auxquels sont associés des traitements algorithmiques mis en œuvre par des logiciels, permettant une analyse automatique, en temps réel et en continu, des images captées par la caméra », précise la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil). Les différents algorithmes sont paramétrables en amont afin de déceler automatiquement les événements que l’opérateur souhaite faire remonter.

Durant l’expérimentation dans l’espace public français, qui a pris fin au 31 mars 2025, les événements à détecter par la VSA étaient au nombre de huit :

  • non-respect du sens de circulation par un piéton ou un véhicule non autorisé ;
  • franchissement d’une zone interdite par un piéton ou un véhicule non autorisé ;
  • présence ou utilisation d’une arme ;
  • départ de feu ;
  • mouvement de foule ;
  • personne au sol ;
  • densité trop importante ;
  • présence d’un colis abandonné.

Un rapport sur l’expérimentation de la VSA en France a été publié par un comité d’évaluation en début d’année.

La vidéosurveillance algorithmique peut être utilisée pour compter le nombre de personnes © Capture vidéo Videtics

La vidéosurveillance algorithmique peut être utilisée pour compter le nombre de personnes présentes dans un lieu, et ainsi estimer la densité de population. © Capture vidéo Videtics.

Que dit le rapport d’évaluation sur la VSA ?

Dans les grandes lignes, les conclusions de ce rapport de 122 pages sur l’expérimentation de la VSA sont que « le recours aux traitements algorithmiques (…) s’est traduit par des performances techniques inégales, très variables en fonction des opérateurs et des cas d’usages, des contextes d’utilisation, ainsi que des caractéristiques techniques et du positionnement des caméras ».

Il est par ailleurs ajouté qu’une « prise en compte suffisante de la diversité des situations lors des phases d’entraînement des modèles, ainsi que la qualité du paramétrage précédemment réalisé, sont essentielles », tout comme « la prise en compte des libertés publiques très en amont ». Enfin, « il est essentiel que l’information donnée soit suffisante pour garantir que le public soit éclairé et qu’il connaisse les droits qui lui sont reconnus par le droit européen et la législation nationale », conclut à ce sujet le rapport.

« Ce n’est pas très probant », accentue Thibault du Manoir de Juaye, avocat à la Cour. « Pour les professionnels de la vidéosurveillance, c’est un non-rapport car il y avait tellement de présence de forces de l’ordre au moment des Jeux olympiques de Paris, que finalement nous n’étions pas dans des conditions d’usage habituelles de la VSA », renchérit-il.

Vidéosurveillance et IA, un duo déjà en place dans les faits ?

En dépit d’une expérimentation mitigée, « la VSA s’impose par petites touches », remarque Thibault du Manoir de Juaye. « Avec les voies réservées au covoiturage, nous sommes capables de voir combien de personnes sont présentes dans une voiture et de verbaliser automatiquement s’il n’y a qu’une seule personne. Est-ce que cela est de la VSA ou non ? Cela signifie qu’il y a un début d’intelligence dans les caméras. Donc la VSA entre un petit peu dans les mœurs ».

Notre interlocuteur relève cependant « un côté assez paradoxal : nous allons autoriser de la VSA pour des infractions mineures, mais nous allons l’interdire lorsqu’il s’agit de rechercher des événements très graves… Et à mon avis, nous avons inversé la problématique. Nous souffrons de l’absence d’une doctrine claire ». Celle-ci pourrait être que « la VSA doit être autorisée lorsqu’il s’agit de protéger des biens et des personnes ».

Cette doctrine sera la réponse à « une crainte de certaines associations » liée « aux attaques à la liberté de circulation et aux atteintes à la vie privée ». L’avocat à la Cour ajoute ainsi qu’il faut « mettre en œuvre des mesures législatives, un encadrement rigoureux et fixer des critères ».

Faute de permettre le développent de la VSA, l’intéressé craint que les conséquences en termes de souveraineté nationale et de souveraineté numérique paraissent gravissimes. « Car si nous ne pouvons pas développer de la VSA en France, nous allons prendre un retard technologique important. Il faut donc un sursaut ». Preuve en est, Videtics – l’une des quatre entreprises françaises qui avait remporté l’appel d’offres sur l’expérimentation de la VSA – a été rachetée par l’entreprise suisse Technis en février 2025. D’autres sociétés ont par ailleurs déposé le bilan faute de perspectives légales claires.

Notons toutefois qu’une expérimentation en France autour de la VSA est de nouveau sur la table en vue des Jeux olympiques et paralympiques d’hiver en 2030, qui seront organisés dans les Alpes françaises.

Selon un sondage inclus dans le rapport sur la VSA, organisé avec le soutien du ministère de l’Intérieur et réalisé par la société Verian :

  • 90 % des sondés (en particulier les plus âgés) « adhèrent à l’usage de la vidéoprotection dans l’espace public pour lutter contre la délinquance » ;
  • 81 % sont « ouverts au recours à l’utilisation de la VSA (…) sans pouvoir reconnaître une personne déterminée ni identifier ses caractéristiques physiques » ;
  • 62 % pensent que la VSA « va banaliser la surveillance générale » ;
  • 59 % pensent que la VSA « risque d’être mal utilisée » ;
  • 54 % pensent que la VSA « pourrait entraîner des discriminations » ;
  • 61 % de la population testée « dit avoir entendu parler de l’expérimentation » ;
  • 20 % des répondants déclarent savoir précisément ce qu’est la VSA ;
  • 18 % des sondés voient la VSA « comme priorité pour garantir la sécurité publique » (quand 38 % préfèrent « renforcer le nombre de policiers ou gendarmes sur la voie publique » ou 28 % priorisent « le recrutement de personnes spécialisées dans les nouveaux types de risques »).

La reconnaissance faciale est l’une des nombreuses applications technologiquement possibles avec la VSA. Après avoir poussé, en vain pour le moment, pour la prolongation de l’expérimentation de la VSA, plusieurs personnalités politiques tentent désormais d’orienter le débat vers un usage de la reconnaissance faciale dans l’espace public.

Ministre de la Justice, Gérald Darmanin a ainsi annoncé le 23 mai 2025 auprès de l’AFP le lancement d’un « groupe de travail » sur la reconnaissance faciale visant à « créer un cadre légal » et « introduire cette mesure dans la législation ». Le 4 juin, Bruno Retailleau – ministre de l’Intérieur – souhaitait au micro de RTL que cette technologie soit utilisée « dans le cas d’enquêtes judiciaires, pour mieux déceler les visages (et) mieux pointer les coupables, de façon très encadrée ».

« Il faut clarifier les concepts et voir ce qu’on entend par reconnaissance faciale », explique Thibault du Manoir de Juaye, avocat à la Cour. « S’il y a 1 000 personnes dans une foule, utiliser la reconnaissance faciale, c’est reconnaître les 1 000 personnes. La deuxième approche, c’est l’identification faciale. Dans une foule de 1 000 personnes, nous repérons une seule personne que nous recherchons (un terroriste, un criminel, un pédophile…), tout en ignorant 999 personnes », conclut notre interlocuteur.

À l’heure actuelle, les technologies d’identification biométrique – comme la reconnaissance faciale – restent interdites en France dans l’espace public pour un usage en temps réel.

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Article extrait du n° 608 de Face au Risque : « Vidéosurveillance algorithmique » (juillet-août 2025).

Eitel Mabouong – Journaliste

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