L’implication des huiles dans le risque industriel
Présentes dans nombre d’applications spécifiques en milieu industriel, l’utilisation des huiles et des graisses peut conduire à des phénomènes dangereux. L’étude de l’accidentologie récente met en lumière la contribution de ces corps gras aux événements, ainsi que les risques associés.
L’échantillon des événements observés
En novembre 2021, le Barpi, à la lumière des événements survenus à Rouen puis aux États-Unis à Rockton, produisait une synthèse sur l’implication des huiles et graisses dans les accidents industriels.
Cette synthèse montrait que sur une période de cinq ans allant du 1er janvier 2016 au 31 décembre 2020, une proportion de 5 % des événements était concernée par ces produits, que ce soit en tant que contributeurs directs ou indirects, comme éléments aggravants par leur présence ou bien comme éléments à protéger. Le présent article propose un regard sur une période plus récente et analyse les évolutions par rapport aux constats antérieurement réalisés en réalisant un focus sur les installations en cause. La période examinée s’étend du 1er janvier 2021 au 30 juin 2022.
La base de données Aria recense 1 747 événements survenus au sein d’établissements relevant de la législation sur les installations classées, dont 640 sont qualifiés d’accidents. Parmi ceux-ci, 109 événements mentionnent une implication des huiles ou des graisses selon les mêmes modalités que précédemment évoquées. On distingue 49 accidents sur cet échantillon. Celui-ci montre un taux d’implication des huiles et graisses de 6,2 % sur l’ensemble des événements et de 7,6 % sur l’ensemble des accidents.
Rappel des caractéristiques des huiles ou des graisses
Les huiles et les graisses sont des corps gras, à l’état liquide le plus souvent à température ambiante pour les premières et à l’état solide pour les secondes. Refroidies, les huiles figent et s’apparentent aux graisses. Inversement, chauffées les graisses deviennent liquides et s’apparentent aux huiles. Elles peuvent être d’origines animales, végétales, minérales ou synthétiques en étant dérivées du pétrole ou de la synthèse chimique.
Les huiles et graisses obéissent à des propriétés et caractéristiques qui leur sont propres qui dépendent de leur origine, de leur processus d’élaboration et de transformation et de leur domaine d’utilisation (industriel, alimentaire, cosmétique…).
Elles présentent la particularité d’être des produits combustibles, sans pour autant être classées, sauf exception, comme liquides inflammables (cas des huiles essentielles en particulier). Toutefois, l’élévation de leur température à des degrés divers selon leur caractéristique peut les amener à former une nappe enflammée, de manière similaire à des liquides inflammables.
Outre leur sensibilité aux points chauds qui les conduisent à s’enflammer, les huiles et graisses sont, selon leurs compositions liées à leur domaine d’application spécifique, classées « dangereux pour l’environnement, corrosifs, irritants, toxiques ou nocifs ».
L’un des exemples le plus significatif en la matière est celui des PCB (polychlorobiphényles) que contiennent encore certains transformateurs électriques.
Certaines huiles peuvent par ailleurs avoir un pouvoir olfactif très important, notamment lors de leur décomposition thermique. C’est le cas plus particulier des huiles intégrant des composés soufrés.
Activités impliquant les huiles dans les événements accidentels
Les activités industrielles sont, pour la plupart et à des degrés divers, utilisatrices d’huiles. Au premier rang on dénombre :
- les activités qui produisent, élaborent ou transforment les huiles ;
- les activités qui les utilisent directement dans le process de fabrication (traitement thermique, usinage, cuisson, adjuvant…) ;
- les établissements qui, au niveau des utilités, mettent en œuvre indirectement des huiles dans les installations qu’ils exploitent (moteurs, compresseurs, transmissions, trans- formateurs…).
Globalement, les principaux secteurs d’activités, déjà identifiés, sont confirmés. Ils mettent en exergue l’industrie agroalimentaire ainsi que les activités de production d’énergie (éoliennes) et confirment par ailleurs le niveau de contribution des activités métallurgiques, de fabrication de produits métalliques, de l’industrie chimique et de travail du bois.
Analyse des événements impliquant les huiles
L’approche proposée pour cette analyse vise à porter un regard sur les équipements impliqués dans les événements en cause.
Le tableau ci-contre détaille le nombre d’événements où des équipements impliqués sont cités.
Les installations les plus fréquemment concernées sont surlignées et commentées ci-après de manière individuelle (en jaune) ou groupée (en bleu).
- Éoliennes. Il s’agit le plus souvent de fuites de fluides de lubrification au niveau des dispositifs de démultiplication, d’inclinaison des pales ou encore de fluides hydrauliques dans les mécanismes de commande, notamment au niveau de flexibles (cf.« Déversement d’huile dans un parc éolien » dans la base Aria).
- Transformateurs. Les événements survenant sur ces appareils restent fréquents et peuvent constituer des pertes d’utilités dommageables pour les entreprises concernées. Des courts-circuits en sont le plus souvent à l’origine. Pour les transformateurs au PCB, les événements se traduisent par des pollutions chaudes (court-circuit puis incendie) ou froides (déversement) engendrant des coûts de remédiation importants (cf. « Pollution de la Biot par une teinturerie »).
- Réservoirs. Ces équipements sont le siège d’événements de natures diverses, feux de bacs, fuites ou débordements de cuves, lors d’interventions de maintenance ou de manutention sur des bacs ou suite à des défaillances de pompes… (cf. « Écoulement de graisses dans un réseau d’eaux pluviales »).
- Raccords et tuyauteries. Les réseaux, les canalisations, les tuyauteries ou circuits véhiculant de l’huile ou des fluides imprégnés d’huiles sont sujets à des défaillances sur leur ossature même, ou bien sur leurs composants (raccords,
brides, joints, flexibles…).
Celles-ci ont souvent pour issue fatale un phénomène d’incendie ou de rejet de matières dangereuses. L’un des exemples les plus fréquemment rencontrés est certainement celui des flexibles sur les circuits d’huile hydraulique, équipements très largement présents dans l’industrie (cf.« Incendie d’une usine spécialisée dans la transformation de déchets élastomères recyclés »).
- Matériels de traitement (broyeurs concasseurs – traitement mécanique). Les matériels de traitement sont fréquemment le siège d’événements de par la présence d’huile liée au fonctionnement même des machines, les procédés utilisés qui emploient de l’huile (huile de coupe ou de trempe) ou bien la matière traitée qui contient de l’huile ou en est imprégnée, et la rencontre de points chauds (cf.« Incendie sur une machine à injection d’aluminium »).
- Matériel thermique (de chauffage – fours – chaudières). La proximité de surfaces chaudes et d’huiles constituent des conditions prédisposant à l’apparition de phénomènes d’incendie. C’est le cas plus particulièrement des fours de trempe dans l’industrie métallurgique ou des fours de cuisson dans l’industrie agroalimentaire ou encore des chaudières utilisant un fluide caloporteur à base d’huile (cf. « Feu de chaudière électrique dans une usine chimique »).
- Ouvrages (collecteurs – bassins – bâtiments – rétention). Les ouvrages mentionnés indiquent des lieux préférentiels ou se déroulent des événements et qui constituent donc des points sensibles : les cheminées, points d’accumulation de graisse en cas de nettoyage insuffisant, les torches permettant la destruction des composés relâchés, les bassins et rétention, les points de collecte ultime des rejets dimensionnés ou non pour contenir les rejets liquides, les bâtiments souvent objet de destruction (cf. « Rejet accidentel de graisse dans une usine d’aliments pour animaux »).
Les phénomènes en cause
Les contacts huile et surface chaude ainsi qu’huile et eau contribuent en majorité, et à parts égales, aux phénomènes d’incendie (61 % des cas) et de rejet de matières dangereuses (62 % des cas).
Que l’on ne s’y méprenne pas, si la présence d’huile ou de graisse est un facteur de risque (cf. Aria n° 59032), leur insuffisance, dans certaines installations, peut être tout aussi la cause directe (cf. Aria n° 58638) de l’apparition d’un phénomène d’incendie.
Les explosions recensées concernent pour leur part 5,4 % des événements. Deux cas sont liés à des transformateurs. Ils rappellent l’importance que revêt le contrôle périodique de ces installations (en particulier la qualité du fluide diélectrique contenu).
Les conséquences
Conséquences économiques internes, pollution atmosphérique et pollution des eaux et des sols caractérisent les principaux dommages occasionnés par ces événements (voir schéma ci-contre).
Malheureusement les informations concernant les conséquences économiques sont très peu connues (dans seulement 10 % des cas). Les montants disponibles montrent toutefois une très grande variabilité avec des dommages matériels internes pouvant aller de quelques centaines d’euros à plusieurs millions.
Les perturbations avérées ou supposées (ou causes apparentes)
Pour l’échantillon analysé, le taux de connaissance des perturbations avérées ou supposées s’établit à 77 % ce qui est du même ordre que l’ensemble des événements.
Les défauts matériels et les interventions humaines sont prédominants. L’analyse sur les équipements impliqués, présentée supra, illustre la nature des défauts matériels en cause (voir schéma ci-contre).
Les causes avérées ou supposées (ou causes profondes)
Les causes avérées ou supposées sont connues dans 35 % des cas, ce qui est en continuité par rapport aux analyses antérieures. Elles marquent la prépondérance des facteurs organisationnels.
Les points saillants, pour autant qu’ils aient été identifiés, appellent, dans la majorité des cas à une action corrective des exploitants : remplacement de matériel au niveau du choix des équipements, amélioration de la fréquence et de la qualité des contrôles, rédaction de procédures et consignes. Il est relevé que l’identification des risques donne lieu à trois cas de révision d’étude de dangers (voir schéma ci-contre).
Les enseignements tirés du retour d’expérience
L’étude de l’échantillon d’événements récents dans lesquels sont impliquées des huiles ou des graisses confirme leur contribution effective dans les événements incidentels ou accidentels de nature technologique. Elle pointe l’attention sur les équipements présentant une plus grande sensibilité.
Quels que soient l’usage et leur nature, les huiles et les graisses ont pour trait commun d’être une source potentielle de contamination des eaux et des sols et de révéler leur caractère combustible en présence de points chauds ou dans les domaines d’utilisation à températures élevées. Cette propension est particulièrement mise en évidence dès lors qu’elles s’échappent du contenant lié à leur utilisation ou leur stockage.
L’usage banalisé des huiles fait oublier les risques qu’elles présentent au niveau industriel. Il confirme les points de vigilance à observer tels qu’ils ressortent du retour d’expérience.
- L’identification des risques. Elle doit inclure les points d’utilisation ou de présence d’huile aux différents lieux : stockage, mise en œuvre ou utilisation, déchets, produits souillés ou contaminés et examiner les possibilités de contact avec l’eau, les sols, les points chauds que ce soit en fonctionnement normal ou dégradé (notamment en cas de fuite).
- L’implantation de tout dispositif amené à contenir des huiles (stockage ou exploitation) doit être étudiée spécifiquement (nécessité d’un isolement dans un local adapté…). L’hypothèse de fuites et de migrations doit être envisagée et les mesures pour les contenir étudiées (rétention). L’éloignement par rapport à d’autres produits à risques est également à examiner afin que la présence d’huile ne soit pas un facteur aggravant en cas de défaillance d’un équipement.
- La conception des installations mettant en œuvre de l’huile doit faire l’objet d’une attention particulière sur le plan du dimensionnement des accessoires : tuyauteries, flexibles, vannes… qui sont souvent l’objet de fuites. L’analyse de risque doit examiner les cas de substitution possible à l’utilisation d’huile (commande hydraulique versus commande électrique).
- Durant leur exploitation, les installations doivent être régulièrement entretenues, en particulier les surfaces ou peuvent s’accumuler des dépôts d’huile ou de graisse (conduits de cheminée par exemple), des contrôles périodiques doivent être réalisés.
- Les conditions d’utilisation des huiles à des températures élevées (fours de cuisson ou de trempe) ou pouvant le devenir (roulements, paliers…) doivent satisfaire à des modalités de contrôle et de suivi adaptées (température, pression, niveau, arrivée d’air…).
- Les interventions sur toutes installations utilisant ou ayant contenu de l’huile ou des matières grasses doivent être rigoureusement définies au sein de procédures reposant sur la mise en place de moyens de détection et d’extinction adaptés, localisés à proximité des équipements à risques.
- La mise en place de débourbeurs/déshuileurs sur les exutoires des eaux de process voire également des eaux pluviales apparaît indispensable pour les établissements mettant en œuvre de l’huile, au sein de leurs installations.
Article extrait du n° 588 de Face au Risque : « Panorama des risques 2022-2023 » (décembre 2022 – janvier 2023).
Jean-François Bossuat
Chef du Bureau d’analyse des risques et pollutions industriels (Barpi) du 1er mars 2018 au 9 décembre 2022.
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