Que valent les tests de personnalité pour la sécurité ?

18 septembre 20198 min

Des cabinets de recrutement proposent des questionnaires ou tests de personnalité pour évaluer et prédire les comportements des candidats en matière de santé et de sécurité au travail. Ces tests, qui ont plus de 30 ans, seraient utilisés par 70 % des entreprises du classement Fortune 500 et, toujours selon leurs concepteurs, auraient permis de faire économiser près de 65 M€ aux entreprises qui les utilisent. Au-delà du discours marketing, quelle est leur efficacité ?

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Êtes-vous plutôt insubordonné ou trop discipliné ?

Êtes-vous le genre de personnalité solide ou au contraire alarmiste et soucieuse, irritable ou tout à fait émotionnellement stable…

Si vous ne le savez pas encore, des entreprises de recrutement pourront vous le dire et en parler avec votre (futur) employeur.

Le 24 mars 2015, le copilote du vol 9525 de la Germanwings écrase volontairement son avion dans les Alpes. 150 personnes meurent. Dans ces situations, il est évident qu’un test de personnalité permettrait d’écarter de la conduite d’un aéronef certains profils à risque. Sauf que, pour les pilotes, c’est déjà le cas ! Plusieurs fois pendant leurs formations, puis a minima une fois par an, ils passent des tests psychologiques. C’est même l’un des rares métiers où ces examens sont régulièrement pratiqués.

Alors comment se fait-il que certaines personnalités puissent passer au travers des mailles du filet ? On dira qu’aucun système n’est parfait et qu’il y a forcément une partie complètement aléatoire. Et si cette partie aléatoire était en fait bien plus importante que prévu…

Évaluer un candidat à la sécurité

Entre être employé à un poste de sécurité et conduire un avion, on se doute que les aptitudes et les exigences ne sont pas les mêmes. Évaluer l’aptitude d’un candidat à la sécurité peut se révéler bien plus hasardeux qu’il n’y paraît à première vue.

Cela suppose d’abord que la sécurité ne peut pas s’apprendre – et donc s’enseigner. Par conséquent, on ne peut pas être formé ou même simplement informé sur la sécurité. Elle devient ainsi une vertu plus ou moins ancrée dans notre caractère. C’est évidemment faux et même dangereux.

Ensuite, les emplois sont divers et demandent des aptitudes très différentes. Si on reste dans l’univers de la sécurité aérienne, on peut par exemple travailler dans une tour de contrôle, piloter un avion ou être chargé de sa maintenance. Les tâches et l’environnement sont très variés, tout comme les aptitudes.

Qu’il s’agisse d’un emploi en contact avec le public ou derrière un bureau, les tests de personnalité sont pourtant toujours taillés de la même manière et nous disent toujours un peu la même chose : celui-ci n’est pas organisé, celui-là est trop rigide…

Qu’entend-on par sécurité ?

La sécurité n’est pas un état, c’est une valeur relative dont on imagine qu’elle dépend du lieu, de l’époque et de ceux qui l’évaluent. Et si on évalue la propension d’un candidat à travailler selon ces principes, de quoi s’agit-il ? S’agit-il du respect de l’ordre ? Ce respect s’entend-il comme celui de la réglementation ou celui de la hiérarchie ? Il n’existe pas de situation tranchée et chacune révèle, y compris dans sa perception, ses propres croyances sur la question.

Si les valeurs sont différentes d’une personne à l’autre, les situations offrent une multitude de champ pour l’interprétation.

Des largesses entre théorie et pratique

Dans une carrière du domaine de la sécurité, on peut faire des rondes, vérifier des habilitations ou entretenir du matériel de sécurité. On peut être confronté à la gestion d’un événement extérieur, une alerte climatique par exemple. Ces tâches diverses et variées mobilisent des compétences différentes et supposent, en cas d’inondation par exemple, une part de créativité et sans doute parfois le non-respect de consignes (sortir du cadre).

Ce qui serait très mal évalué dans un questionnaire où la sécurité est présentée comme la capacité à respecter la démarche d’un manuel. Même une tâche a priori très simple comme effectuer une ronde ne fait pas consensus : faut-il toujours la faire au même moment ? Dans le même ordre ? Que faut-il noter sur le rapport ? etc.

Toutes ces interrogations supposent aussi qu’un questionnaire d’évaluation des aptitudes, aussi élaboré et complexe soit-il, permettrait, à partir des réponses formulées par le candidat, de prévoir son avenir et son comportement. C’est incroyablement présomptueux, parfaitement faux et sans doute une fois de plus dangereux.

Les travaux des psychologues Daniel Kahneman et Amos Tversky

En 1973, Daniel Kahneman et Amos Tversky publient dans The Psychological Review un article sur la psychologie de la prédiction. Ce papier et quelques autres vaudront en 2002 à Daniel Kahneman (Amos Tversky étant décédé entre-temps) le prix Nobel d’économie.

Dans son ouvrage, Thinking fast and slow, le chercheur revient sur la genèse des expériences ayant permis d’arriver à ce qu’il appelle le biais cognitif, « l’illusion de validité ».

Psychologue lors de son service militaire en Israël, il est affecté à une unité en charge du recrutement des officiers. Pour déterminer qui seront les leaders, il utilise des exercices mis au point par les britanniques pendant la seconde guerre mondiale. Il s’agit de constituer des groupes et de leur assigner une tâche (passer une brique de l’autre côté du mur sans la jeter).

Les tests de personnalité ne permettent pas de lire l’avenir et de savoir comment réagiront des personnes… notamment sur un champ de bataille ou dans une situation extrême.

Les réactions des appelés sont scrutées et analysées pour déceler comment les personnalités émergent : qui cherche la collaboration, quels sont les profils pour commander, etc. À partir des résultats et d’autres tests écrits, l’équipe de psychologues désigne les officiers qui commanderont le mieux sur le champ de bataille.

Le plus déconcertant est le résultat de l’efficacité de ces tests effectués par ces psychologues plutôt aguerris. Ils reçoivent par la suite les retours de terrain sur la façon dont se sont comportés les officiers sur le champ de bataille. Certains choix étaient bons, d’autres très mauvais, mais dans l’ensemble, les tests n’ont pas beaucoup mieux fait que si les candidats avaient été tirés au sort !

Plus tard dans leurs carrières, Daniel Kahneman et Amos Tversky ont eu l’occasion de vérifier par d’autres évaluations et les travaux de leurs pairs, le sentiment d’expertise des professionnels par rapport aux non-experts.

La jurisprudence boursière

Dans le domaine de la bourse par exemple, ils évaluent des traders expérimentés et les confrontent à des non-initiés sur plusieurs cycles boursiers. Le résultat est, là encore, tout à fait surprenant : les placements et les succès des uns et des autres ne sont absolument pas corrélés à l’expérience ! Et ils sont très souvent irréguliers dans le temps.

Dans un marché efficace et volatile (contrairement à un marché dirigé et donc prévisible), il est absolument impossible de prévoir l’avenir, quel que soit son niveau d’expertise.

C’est exactement pareil pour la géopolitique : qui peut se vanter de savoir que les révolutions arabes surviendraient, que la révolution réussirait en Tunisie, échouerait en Égypte, ne prendrait pas en Algérie, serait réprimée par le sang en Iran… Tous ces événements sont dépendants de tellement de facteurs qu’il est impossible de les prévoir à l’avance. Qui sait aujourd’hui si Donald Trump sera réélu ou destitué ?

L’être humain n’échappe pas à sa part de hasard

Les prédictions des uns et autres sont aussi hasardeuses qu’un lancer de dés, quel que soit le niveau d’expertise du visionnaire. Mais nous aimons l’illusion d’un pouvoir de prédiction.

Cela ne veut pas dire que l’expérience et la connaissance n’existent pas. Elles existent mais on ne peut pas établir de corrélation entre expérience et prédiction. D’ailleurs cela se vérifie aussi très souvent dans le domaine technologique. Qui peut prévoir l’échec ou la réussite d’un produit ? Certaines innovations n’ont jamais trouvé leur marché alors qu’elles sont objectivement porteuses d’avantages.

Pour l’être humain, c’est à peu près pareil que pour la bourse, le loto, la technologie ou la géopolitique. Ce n’est pas parce qu’on arrive à dresser le profil ou la personnalité d’un candidat qu’on peut en déduire son avenir, voire sa faculté à produire ou générer des incidents.

C’est d’ailleurs un grand classique pour les articles de faits divers que d’aller interroger les voisins qui, évidemment, ne se doutaient de rien… avant le passage à l’acte.

Au moment où tout est connecté et où l’intelligence artificielle est en tournée promotionnelle permanente, ces données sont rassurantes. Personne ne peut prédire l’avenir.

Bien évidemment, il y a des spécialistes dont c’est le fonds de commerce. Mais ce n’est pas parce qu’ils parlent qu’il faut les écouter.

En définitive, si vous êtes arrivé au terme de ce papier, c’est que vous avez une personnalité instable et peu sûre de ses convictions. À moins que vous ayez l’âme rigoureuse d’un scientifique… Si vous doutez de ces deux prédictions, passez un test de personnalité !

(Article publié dans le numéro 554 de Face au Risque, daté de juillet-août 2019)

David Kapp
Journaliste

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