Adapter les entreprises aux risques naturels et climatiques : un enjeu d’avenir
Régis Thépot a été fonctionnaire territorial pendant quarante ans, notamment en charge de la gestion des risques d’inondations et de sécheresse sur les bassins de la Seine et de la Loire. Devenu aujourd’hui conseil et formateur, il est l’auteur d’un ouvrage intitulé « Risques naturels & climatiques en entreprise », publié aux éditions CNPP. Il a accepté de répondre aux questions de Face au Risque sur cet enjeu fondamental des années à venir.
Que pensez-vous du travail entrepris ces dernières années pour identifier les vulnérabilités des entreprises face aux risques naturels et climatiques ? Ce travail est-il suffisant ?
Régis Thépot. Un important travail a été fait par les pouvoirs publics pour la collecte de données sur les aléas et risques naturels et climatiques. Aujourd’hui, on en a une quantité très importante accessible en open data, et la connaissance progresse. Mais ce qui compte, c’est la perception du risque par les dirigeants d’entreprises. Et, sur ce point, il y a différents cas de figure et encore du travail à faire.
Cette perception n’est en effet pas la même dans un territoire qui a connu de nombreux sinistres en comparaison avec un autre n’en ayant pas connu récemment. Par exemple sur la Loire et sur la Seine, les dernières grandes inondations datent d’il y a plus d’un siècle et l’enjeu est d’y développer la conscience du risque, ce qui est beaucoup plus long et difficile que dans des territoires régulièrement touchés.
« Ce qui compte, c’est la perception du risque par les dirigeants d’entreprises. »
Régis Thépot, conseil, formateur et auteur.
Qu’est-ce qui pourrait et devrait être fait selon vous pour protéger les entreprises face aux risques naturels ?
R. T. Outre des mesures organisationnelles, il y a de nombreuses dispositions techniques à prendre par les entreprises elles-mêmes, qui ne coûtent pas très cher, mais qui peuvent réduire fortement les dommages en cas de sinistre.
Par exemple, à Saintes, en Charente-Maritime, il y a régulièrement des inondations près de la Charente. Pour y faire face, beaucoup de commerces se sont équipés de pompes. Lorsque l’eau monte, ils évacuent l’eau de leur cave dans la rue. Il peut aussi être judicieux d’avoir des batardeaux à installer afin d’empêcher l’eau de pénétrer dans un bâtiment.
Autre exemple : un élément très sensible, dans les locaux professionnels, c’est l’électricité. Les entreprises peuvent prévoir de remonter leurs équipements, en particulier l’informatique, afin de les protéger en cas de montée des eaux. Il est également important d’avoir des sauvegardes numériques dans des endroits protégés, en particulier pour des éléments essentiels. L’idée directrice est que l’activité puisse redémarrer rapidement.
Maintenant, il faut souligner qu’une entreprise ne peut pas se protéger contre tout et qu’il faut définir des priorités en amont de tout sinistre.
Au-delà de l’aspect individuel, les entreprises peuvent aussi jouer collectif. Il y a par exemple de nombreuses zones d’activités où il serait possible d’avoir des démarches collectives : partage de connaissances, de formations, d’équipements de protection, de zones à l’abri de l’aléa, etc.
Un chiffre m’a frappé en écrivant ce livre : un quart de l’emploi salarié privé en France se trouve dans 350 zones d’activités. On pourrait donc réduire collectivement la vulnérabilité du quart du salariat privé de notre pays en travaillant sur ces zones ! Si l’on avait, dans chacune de ces 350 zones, une personne chargée d’identifier et de réduire les risques naturels et climatiques du site, on pourrait faire d’importants progrès…
Avez-vous des retours d’expérience à partager, en particulier des exemples d’entreprises ayant fait face à une problématique climatique donnée, et ayant réussi à la gérer et à prévenir les prochains problèmes potentiels ?
R. T. Il y a de nombreux cas d’entreprises qui se sont mieux reconstruites après une catastrophe naturelle. Je pense par exemple à un hôtel à Lourdes, qui a pris des dispositions sur place après une forte inondation : tous les murs en parpaings ont été remplacés par du béton armé, les vitrines par du verre armé et des batardeaux mobiles ont été prévus dans les entrées. Les propriétaires n’avaient pas le choix s’ils voulaient à nouveau bénéficier d’une assurance.
Une entreprise victime d’importantes inondations en novembre 2023, près de Boulogne-sur-Mer, dans le nord de la France, vient quant à elle de déménager et d’intégrer de nouveaux locaux non inondables en restant dans le même bassin d’emploi. Elle a notamment pu redémarrer parce que ses serveurs informatiques avaient été préservés lors de l’inondation.
À l’inverse, avez-vous des exemples d’entreprises ayant eu des problèmes à cause du changement climatique et ne s’en étant pas relevées ?
R. T. On peut prendre l’exemple d’une autre entreprise inondée par le même évènement du Boulonnais qui a été placée en redressement judiciaire et a prévu de redémarrer une activité plus réduite avec la moitié de ses salariés. On voit ainsi que chaque situation est un cas particulier et dépend de nombreux facteurs (domaine d’activité, situation financière, mesures préventives, etc.).

D’importantes inondations ont touché le Pas-de-Calais à l’automne 2023. Près de deux ans après, l’activité de certaines entreprises du territoire n’a toujours pas repris. © Service communication du Sdis 62.
Les assureurs sont-ils à la hauteur de l’évolution des risques climatiques auxquels sont confrontées les entreprises ?
R. T. Les assureurs appliquent le Code de l’assurance qui regroupe les lois de référence adoptées par le législateur et leurs règlements d’application. Ils assurent les principaux risques naturels et climatiques au travers du régime dit CatNat dès lors qu’ils sont reconnus comme catastrophe naturelle, par des arrêtés pris par les autorités ; en dernier recours, pour des évènements majeurs, c’est l’État qui assure la solidarité nationale face à ces risques.
Il y a néanmoins des difficultés auxquelles sont confrontées les entreprises et qui ne sont pas forcément prises en charge par ce régime, notamment la perte d’activité économique. Par exemple, si un salon de coiffure est inondé, l’assurance prendra en charge les dommages au bâtiment causés par le sinistre. En revanche, s’il y a plusieurs semaines de fermeture, et donc une perte de chiffre d’affaires, ce ne sera pas indemnisé, sauf si c’est explicitement prévu dans un contrat d’assurance dit de perte d’exploitation. Autre exemple, si lors d’une inondation, une entreprise n’est pas inondée mais que ses clients et fournisseurs le sont, cela va créer des difficultés sur son activité.
Ce que je conseille donc aux entrepreneurs, c’est de faire régulièrement un bilan précis de tous leurs contrats d’assurance avec l’assureur, pour vérifier précisément ce qui est couvert et ce qui ne l’est pas. Ensuite, il faut dialoguer avec lui pour trouver un équilibre, entre ce qui mérite ou pas d’être assuré.
« Une entreprise ne peut pas se protéger contre tout. Il faut définir des priorités en amont de tout sinistre. »
Régis Thépot, conseil, formateur et auteur.
Quels sont les freins qui empêchent les entreprises d’agir pour anticiper les risques climatiques ?
R. T. Plusieurs sondages ont cherché à comprendre les raisons pour lesquelles les entreprises agissent peu pour réduire leur vulnérabilité. Parmi les motifs avancés, il y a le fait de ne pas être propriétaire des locaux, ou que les mesures envisageables soient jugées trop lourdes et trop longues à mettre en œuvre. On en revient donc à l’enjeu de la perception de ce risque naturel et climatique, parmi les autres risques de l’entreprise, alors que des mesures organisationnelles ou peu coûteuses pourraient être très efficaces.
Article extrait du n° 609 de Face au Risque : « La santé mentale au travail » (septembre-octobre 2025).

Camille Hostin – Journaliste
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