Dans nos archives – Feux de chantiers, risque maximum

16 avril 201911 min
Feux de chantiers risque maximum credit photo B Moser BSPP

Hélas, l’incendie survenu à Notre-Dame de Paris le lundi 15 avril 2019 n’est qu’un feu parmi tant d’autres à avoir éclos lors de la phase délicate de travaux. Les monuments historiques sont particulièrement fragiles. Retour sur trois incendies emblématiques survenus lors de chantiers.

Qu’ils éclatent au cœur d’un paquebot prêt à être livré, dans les combles séculaires d’un monument historique ou dans les entrailles d’un multiplex, ces feux évoluent dans des environnements encore vierges de tout système de sécurité, alors que les risques y sont maximum…

L’Hôtel Lambert : feu de combles

L’Hôtel Lambert, construit en 1640, se dresse à l’extrémité de la prestigieuse Île-Saint- Louis à Paris. Classé monument historique en 1862, il est composé d’un rez-de-chaussée (hall, communs, dont la célèbre galerie d’Hercule préfigurant la galerie des glaces) et de deux étages d’appartements. Accessible par une large cour menant à un escalier monumental, il dispose d’un parc bordant la Seine. Il s’étend sur près de 2 000 m². En complète restructuration depuis 2011 (pose d’ascenseur à véhicules, de climatisation, de parking sous le parc…), il est victime d’un incendie dans la nuit du 9 juillet 2013.

Effondrement de plafond

Alertés par les riverains (fumée puis flammes s’échappant en toiture), alors que la dernière ronde a semble-t-il été effectuée par le gardien du chantier vers 22 h, les pompiers qui se présentent vers 1 h 30 découvrent, après être entrés dans la cour principale, un violent feu de combles en cours de développement.

Initialement conduite depuis l’intérieur par les escaliers encadrant le sinistre, l’attaque va se compléter depuis les échelles et bras élévateur, puis à partir des immeubles contigus, un instant menacés. Dix lances sont établies. L’origine de l’incendie, inconnue, est soumise à enquête. L’incendie a essentiellement concerné le volume  de combles non recoupés, ajouté de quelques points de chute à l’étage inférieur.

Maîtrisé vers 7 h 30, il a mobilisé de longues heures les secours. Ils se sont employés à combattre le feu qui ravageait les charpentes sous toiture, protégées de l’eau des lances par une épaisse couverture d’ardoises « à l’ancienne », particulièrement résistantes aux moyens de découpe et perforation. Il est en effet nécessaire, dans ce type de sinistre, de créer des exutoires pour atteindre, d’une part, les foyers et, d’autre part, stopper la propagation horizontale. Corollaires aux feux de combles, nécessitant de gros débits d’eau, l’effondrement de planchers vers les niveaux inférieurs et les dégâts dus aux eaux d’extinction.

Un manque de mesures de sécurité incendie…

Ici, la prestigieuse galerie d’Hercule, aux célèbres plafonds peints, a été préservée grâce à un renforcement préalable des planchers. En revanche, le plafond du Cabinet des bains, lui aussi remarquable par ses peintures, s’est effondré.

Si la progression sous les combles en feu est un problème récurrent pour les secours, en raison des risques de chutes de matériaux, il s’est ici illustré par un effondrement partiel du plafond de l’escalier monumental, accès initialement privilégié, emportant une partie des échafaudages, condamnant ainsi cet axe stratégique.

Il semble que le chantier de cet édifice remarquable n’ait pas fait l’objet de mesures de sécurité incendie spécifiques hors de la présence d’un gardien, non alerté du départ de feu… Aujourd’hui, l’Hôtel Lambert est recouvert d’une imposante sur-toiture de bardage, protégeant le chantier de restauration.

Hotel lambert feu de combles René Dosne Face au Risque

Maison de la Radio : travaux de désamiantage

Construite de 1954 à 1963, la Maison de la Radio (alors appelée la RTF) se compose schématiquement d’une couronne circulaire de onze étages au centre de laquelle s’élève un bâtiment de bureaux de vingt-deux niveaux, l’ensemble est IGH. La partie avant du complexe abrite salles de concert et auditorium.

C’est dans une section de la couronne, en cours de désamiantage au 8e étage, que le feu éclate le 31 octobre 2014 vers 12 h 30. L’incendie est très fumigène et une épaisse fumée s’échappe bientôt des baies sur une quarantaine de mètres. Le service incendie du site dépêche une équipe sur place tandis que les secours extérieurs sont alertés. S’agissant d’un établissement répertorié, une vingtaine d’engins de secours est envoyée.

Attaqué à partir des deux escaliers encadrant la zone sinistrée, l’incendie est rapidement maîtrisé sans avoir pu s’étendre hors de sa cellule initiale, d’environ 400 m².

La limite du déclenchement manuel d’alarme

Le prestige du lieu, associé à l’importance des fumées et à l’implication de nombreux journalistes, cette fois acteurs de l’événement, amplifie l’importance du sinistre, pourtant rapidement maîtrisé et sans victimes. Le site fait l’objet depuis 2009 de travaux de rénovation dont l’une des difficultés est de maintenir l’activité, en procédant par tranches.

L’IGH central a été le premier  concerné : désamiantage et augmentation de la stabilité au feu pour cet édifice à structure acier. Un auditorium de 1 460 places remplace les mythiques studios 102 et 103. La section de couronne concernée par le feu était en cours de désamiantage sur onze niveaux. Un sas équipé d’une soufflerie permettant sa surpression avait été installé à l’entrée de la zone de travaux. Un stock de moquette et cinq bacs de plastique contenant des blocs d’amiante solide sous emballage plastique, expliquent l’intensité de la fumée. Le chantier était équipé de déclencheurs manuels permettant de donner l’alarme.

30 minutes de coupure pour une « auto-évacuation »

L’absence d’ouvriers sur le chantier depuis 10 h le matin n’a pas permis une alarme précoce, l’incendie n’étant détecté que lorsque les premières fumées extérieures ont été aperçues. Aucune fumée n’ayant filtré hors de la zone de chantier, la détection ne s’est pas déclenchée et les zones occupées contiguës n’ont pas été alertées.

C’est une « auto-évacuation » qui a entraîné l’interruption des programmes de France Inter et de France Info durant une trentaine de minutes, avant qu’ils ne soient repris dans des studios de repli. Depuis, une détection de chantier forte d’une centaine de détecteurs sans fil reliés par radio à une centrale installée au poste central de sécurité (PCS) couvre la tranche de onze étages en cours de réhabilitation.

Maison de la radio René Dosne Face au Risque

Cité des sciences : SSI non raccordé

Le jeudi 20 août 2015, quelques jours avant la réception de son système de sécurité incendie (SSI), le gigantesque complexe commercial, en fin de chantier, accolé à la Cité des sciences et de l’industrie, s’embrase.

Initialement conçu pour remplacer les antiques abattoirs de La Villette, cet immense pavé de près de 300 m de long, 65 m de large et 40 m de haut offre les gigantesques volumes permettant d’accueillir la Cité des sciences. Si celle-ci occupe les trois quarts du bâtiment (plus de 20 000 m²), le dernier tiers, séparé par un mur CF 2 h n’avait jamais été exploité.

Il abrite aujourd’hui un complexe commercial de quarante huit boutiques et restaurants sur trois niveaux, sur lequel sont posées quinze salles de cinéma pour une capacité totale de 3 000 spectateurs. Un atrium de quatre niveaux relie le centre commercial à la salle des billets et d’accès aux salles. Sur structure métallique, les différents volumes utilisent des panneaux placo/laine minérale sur rails acier. De nombreux escaliers, escalators et ascenseurs desservent les niveaux, tandis que plusieurs escaliers extérieurs et passerelles ajoutées garantissent l’évacuation des occupants.

Pas de flamme… mais beaucoup de fumée en façade

C’est lorsque la fumée atteint les détecteurs de la Cité des sciences que l’alarme est donnée au PCS. Le système de sécurité incendie du chantier n’y étant pas encore raccordé… L’établissement, ERP de 1re catégorie, est répertorié et un grand volume d’engins est envoyé. Pas de flamme, mais beaucoup de fumée s’échappe à différents niveaux de la monumentale façade.

Les sapeurs-pompiers parviennent bientôt à la salle des billets, siège du foyer principal, vaste espace parcouru d’escaliers et escalators, desservant les différentes circulations menant aux quinze salles se situant au-dessus. L’incendie est très fumigène et, en l’absence de plans, la progression est particulièrement difficile.

Vers 4 h, six lances sont en manoeuvre et le feu se propage à l’une des grandes salles de cinéma (400 places), située au-dessus du foyer principal. La toiture, au bardage d’acier recouvert d’une couche bitumineuse, est bientôt atteinte, quelques installations de ventilation et d’extraction s’embrasent. L’approche des moyens aériens n’étant pas possible, c’est par un escalier de chantier que les pompiers atteignent la terrasse, culminant à une quarantaine de mètres.

Maîtres du feu vers 8 h, grâce à neuf lances établies aux différents niveaux, les secours passeront encore de longues heures à traquer les derniers points chauds subsistant dans cette immense et atypique structure.

Les exutoires restent fermés

L’incendie est violent car bien alimenté, les lieux étant pratiquement terminés et offrant une charge calorifique importante (mobilier, revêtements, équipements, fauteuils dans les salles, etc.). Détection, désenfumage et compartimentage sont désactivés.

En l’absence d’exutoires qui restent désespérément fermés, les fumées et gaz chauds sont retenus sous toiture, faisant bouillonner le bitume de la terrasse. Les parois intérieures sont en panneaux de plâtre avec un remplissage de laine minérale, le tout fixé sur bâtis d’acier. Des cloisons se démantèlent sous l’effet de l’incendie, mettant à jour des trémies profondes de plusieurs niveaux… rendant les reconnaissances périlleuses. Un escalier mécanique va même se détacher du plancher le retenant et s’abattre au niveau inférieur.

Si toute la zone « multiplex » (ses 15 salles et circulations attenantes) a été très fortement impactée par le feu, la partie inférieure, occupée par les espaces commerciaux et l’atrium, a été préservée de l’incendie. À terme, lorsque ce complexe sera en activité, il sera détecté, sprinklé, disposera d’une colonne humide s’ajoutant aux sept équipant la Cité des sciences (situées dans des escaliers dédiés au secours), de quatre tours incendie…

La réception du SSI devait se faire quelques jours après l’incendie et le complexe devait être livré le 15 octobre !

Des précédents

Des feux de chantiers de tous types ont été relatés dans nos colonnes :
D’une basilique de Nantes à la manufacture de tabacs de Morlaix, de la Mairie de La Rochelle aux Arts et Métiers de Lille, en passant même par un… paquebot à Saint-Nazaire prêt à être réceptionné ou un complexe immobilier de bois à San Francisco.
Souvent nés d’un travail par point chaud (surtout pour les feux de toitures), ces feux interviennent dans un environnement vulnérable, car sans protection incendie, au compartimentage souvent inopérant par des passages de tuyaux et câbles divers, des accumulations de palettes et autres cartons, stocks de peintures et rouleaux de revêtements divers, bobines de câbles et bouteilles de gaz.
Le respect des procédures du permis de feu y est essentiel.
opéra de Paris, magasins du Printemps ont aussi brûlé en leur temps en période de… travaux.
L’évolution dans ces lieux inachevés peut être dangereuse pour les sauveteurs : trémies diverses ouvertes dans les planchers, fers à béton sortant du sol, présence de bouteilles de gaz, etc.
L’évolution dans ces lieux inachevés peut être dangereuse pour les sauveteurs : trémies diverses ouvertes dans les planchers, fers à béton sortant du sol, présence de bouteilles de gaz, etc.
L’absence de plans et la méconnaissance des lieux peuvent encore compliquer l’action des secours. Dans certains cas, des colonnes sèches, humides (chantiers d’IGH), détection temporaire et autres RIA provisoires peuvent être installés.
Cité des Sciences René Dosne Face au Risque
René Dosne

René Dosne

Depuis janvier 1983, René Dosne écrit et illustre la rubrique Feux Instructifs dans Face au Risque. Collaborateur de nombreux magazines dédiés aux sapeurs-pompiers, il a créé et assuré la spécialité de dessinateur opérationnel au sein de la Brigade des Sapeurs-pompiers de Paris (BSPP) où il était lieutenant-colonel (r). Dans sa carrière, il a couvert la plupart des grands feux, mais aussi explosions, accidents en France comme à l’étranger.

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